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CAAP 16 / Maître Pierre MASQUART : « Quelle politique juridique pour les activités spatiales en Afrique ? »

3 février 2025
CAAP 16 / Maître Pierre MASQUART : « Quelle politique juridique pour les activités spatiales en Afrique ? »
De gauche à droite sur la photo : Maître Pierre MASQUART (Kimia Avocats), co-Président des Rendez-vous d’Afrique(s) ; SEM Alaa YOUSSEF, Ambassadeur de l’Égypte en France ; Alfred MIGNOT, Directeur de Africapresse.paris et organisateur des Conférences des Ambassadeurs Africains de Paris (CAAP) lors de la CAAP 16, le 29 janvier 2025 au Conseil supérieur du Notariat, à Paris. Photo © Hady Photo - CLIQUER SUR L’IMAGE POUR L’AGRANDIR.
Tandis que des acteurs privés concurrencent toujours plus fortement les États, il apparaît clairement que l’espace ne doit pas demeurer un quasi-vide juridique. Et si la construction d’un droit de l’espace est nécessaire, l’Afrique, en défendant une vision panafricaine, pourrait s’affirmer par une gouvernance exemplaire. Plaidoyer, à la CAAP 16.

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Intervention de Maître Pierre MASQUART
Avocat au Barreau de Paris
Kimia Avocats
Co-président des Rendez-Vous d’Afrique(s)

à la XVIe Conférence de Ambassadeurs Africains de Paris (CAAP 16) du 29 janvier 2025, dédiée au thème : « Le bel avenir annoncé du secteur spatial Africain ».

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Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,

En 1969, lorsque Neil Armstrong et Buzz Aldrin plantèrent le drapeau américain sur la Lune, la NASA dut aussitôt préciser qu’il ne s’agissait pas d’une revendication de souveraineté, en raison du principe de non-appropriation de l’espace prévu par les traités internationaux.

Un demi-siècle plus tard, certains envisagent déjà de planter un drapeau sur Mars… et je ne suis pas tout à fait certain que, dans l’esprit du président Donald Trump, cela n’ait pas des allures de véritable appropriation !

À l’heure de la conquête spatiale privée, des projets « pharaoniques » d’acteurs privés comme Elon Musk et des ambitions toujours plus vives autour de l’exploration, la question demeure  : comment faire respecter ce principe de non-appropriation, et plus largement, quels cadres juridiques pour régir l’exploitation de l’espace  ?

Dans ce contexte, si l’Afrique veut pleinement tirer parti des immenses opportunités offertes par les technologies spatiales, elle doit poser dès maintenant les fondations d’un cadre légal robuste et visionnaire.

Et c’est précisément ce chemin que je vous propose d’explorer aujourd’hui : pourquoi et comment le droit peut-il accompagner le bel avenir annoncé du spatial africain ?

À ce jour, sur l’ensemble du continent africain, peu de pays ont ratifié les cinq grands traités qui régissent l’espace extra-atmosphérique.

Seul le Maroc peut se targuer de les avoir tous ratifiés.

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Les raisons du retard
de législation

Quelques nations – l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Égypte, l’Algérie et la Tunisie – ont adopté des lois spatiales spécifiques ou établi des cadres réglementaires adaptés.
Mais, dans l’immense majorité des cas, il n’existe ni législation, ni ratification.
Faut-il s’en étonner ? Pas forcément.

Ce retard s’explique par plusieurs raisons évidentes :

 Premièrement, l’absence de technologies spatiales dans de nombreux pays africains.

 Deuxièmement, une méconnaissance généralisée du droit spatial et des règles internationales qui régissent les activités spatiales.

 Troisièmement, une offre encore insuffisante de formations en droit spatial dans les universités africaines, à l’exception notable de certaines institutions en Égypte, en Afrique du Sud, au Nigeria ou encore au Kenya.

Mais malgré ces freins, les choses évoluent.

Depuis quelques années, plusieurs États africains ont créé des centres nationaux et des agences spatiales, marquant ainsi leur entrée dans le concert des nations spatiales.

Aujourd’hui, ce sont plusieurs institutions spécialisées qui jalonnent le continent : du Maroc au Sénégal, du Ghana à l’Île Maurice, du Kenya à l’Algérie, sans oublier l’Afrique du Sud ou encore l’Angola.
Par ailleurs, la participation des pays africains aux travaux des comités onusiens sur l’espace s’intensifie.
En témoignent deux événements majeurs : l’Égypte a assumé la présidence du comité spatial des Nations Unies en 2024, suivie par le Maroc en 2025.
Ces responsabilités permettent de renforcer la voix africaine dans les négociations internationales et d’intensifier la coopération spatiale au bénéfice du continent.

Une vue de l’amphithéâtre du Conseil supérieur du Notariat lors de la XVIe Conférebce des Ambassadeurs Africains de Paris (CAAP 16), le 29 janvier 2025. Photo © Hady Photo - CLIQUER SUR L’IMAGE POUR L’AGRANDIR.

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Un potentiel
immense

Et pourtant, le chemin reste long.
L’économie spatiale africaine, bien que dynamique, ne représente encore qu’une faible part – moins de 5 % – de l’économie spatiale mondiale, estimée à 546 milliards de dollars.
Mais le potentiel est immense.

En 2021, cette économie africaine était évaluée à 19,49 milliards de dollars. Elle pourrait atteindre 22,64 milliards d’ici à 2026, avec une croissance annuelle impressionnante de 16 %.
Cependant, cette expansion s’accompagne d’un constat implacable : l’absence de règles de droit nationales pour organiser ces activités spatiales devient un frein au développement.

Si, dans le passé, cette situation pouvait être compréhensible – en raison du monopole des États sur les opérations spatiales –, les transformations rapides du secteur bouleversent désormais cet équilibre.
Car le secteur spatial est en pleine mutation.
Il est marqué par l’essor des entreprises privées, véritables moteurs de l’innovation.
SpaceX, Blue Origin, Rocket Lab et bien d’autres ont introduit des fusées réutilisables, réduit drastiquement les coûts d’accès à l’espace et multiplié les activités spatiales, du lancement de constellations de satellites au tourisme spatial.

Dans ce nouveau contexte, les États perdent peu à peu leur monopole. Ils doivent désormais partager l’espace avec des acteurs privés, dans un environnement toujours plus compétitif et complexe.

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La nécessité de cadres
juridiques solides

Ce bouleversement impose aux États africains de se doter de cadres juridiques solides.
Pourquoi ? Parce que ces règles garantissent à la fois :

1. La sécurité juridique pour les opérateurs privés, essentielle pour attirer les investissements massifs que nécessite le secteur spatial.

2. Le contrôle des États sur des activités qui, mal encadrées, peuvent engendrer des risques considérables pour les biens et les personnes.

Prenons quelques exemples pour illustrer les litiges qui pourraient survenir :

 Imaginez qu’un satellite nigérian, en raison d’une défaillance technique, retombe sur le territoire du Ghana, endommageant une infrastructure critique comme une centrale électrique. Il est certain qu’un litige indemnitaire se nouerait, le Ghana réclamant une indemnisation.

 Autre scénario : un consortium africain développe un satellite d’observation terrestre pour surveiller les changements climatiques. Mais un pays membre accuse un autre de détourner les données satellitaires pour surveiller ses frontières. Le pays membre porte plainte pour violation de sa souveraineté et demande des restrictions sur l’accès aux données. L’enjeu juridique sera de réglementer l’accès aux données satellitaires dans un cadre multilatéral tout en respectant la souveraineté des États.

 Enfin, un satellite sud-africain pourrait être endommagé par un débris spatial provenant d’un ancien satellite algérien. L’Afrique du Sud demanderait réparation, et l’Algérie invoquerait le caractère imprévisible de l’incident.

Ces exemples, bien que fictifs, illustrent avec clarté les litiges et défis qui pourraient surgir dans le sillage de l’expansion des activités spatiales en Afrique.
Ils nous rappellent une vérité essentielle : l’espace ne doit pas être un vide juridique. Il est un champ de responsabilités et de devoirs pour les États, un espace où le droit, la politique et la stratégie se rencontrent.

L’exercice par un État d’un contrôle sur les opérations spatiales n’est donc pas une option, mais une nécessité.
Parce que la maîtrise des opérations spatiales engage aussi directement la sécurité nationale.
L’usage des satellites – qu’il s’agisse de surveillance, de télécommunications ou de gestion des ressources – peut devenir un levier stratégique majeur, mais également un risque s’il est mal encadré.

La photo de famille des panélistes de la XVIe Conférence des Ambassadeurs Africains de Paris (CAAP 16), le 29 janvier 2025 au Conseil supérieur du Notariat (CSN). De gauche à droite sur la photo : Maître Pierre-Jean MEYSSAN, 1er vice-Président du CSN ; M. Sékou OUEDRAOGO, Président-fondateur de l’African Aeronautics & Space Organisation (AASO) ; Maître Pierre MASQUART, Avocat au Barreau de Paris, Réseau Kimia-avocats, Co-président des Rendez-Vous d’Afrique(s) ; > SEM Alaa YOUSSEF, Ambassadeur d’ÉGYPTE ; M. Alfred MIGNOT, Directeur Africapresse.paris et organisateur des CAAP ; Maître Pierre-Stanley PÉRONO, Avocat au Barreau de Paris, Expert IE, Président-Fondateur du Cabinet PÉRONO Conseils ; Mme Ouafae KARIM, Ingénieure et Directrice-fondatrice de Africa-eo-services (AfEOS) ; SEM Émile NGOY KASONGO, Ambassadeur de la RD CONGO ; M. Olivier PIEPSZ, PDG de Prométhée Earth Intelligence ; M. Jean KOÏVOGUI, PDG cofondateur de COPERNILABS. Photo © Hady Photo - CLIQUER SUR L’IMAGE POUR L’AGRANDIR.

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Les cinq grands traités
relatifs à l’espace

Regardons ce qui se passe à l’échelle mondiale : l’an dernier, la Russie accusait les États-Unis de vouloir militariser l’espace, et l’ONU a échoué à adopter une résolution visant à prévenir une course aux armements dans l’espace.

Pour chaque pays africain, l’objectif est clair : il s’agit de définir, dès aujourd’hui, un cadre juridique national adapté aux réalités locales, tout en respectant les principes fondamentaux du droit spatial international.
Cela passe d’abord par la ratification des cinq grands traités relatifs à l’espace pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, mais aussi par une sensibilisation des décideurs aux obligations juridiques et stratégiques qui en découlent.

Rappelons ici l’article VI du Traité de 1967, qui impose à chaque État de « veiller à ce que les activités nationales dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune, soient poursuivies conformément aux dispositions du traité ».
Cela signifie que les activités des entités non gouvernementales doivent faire l’objet d’une autorisation et d’une surveillance continues.

Chaque pays doit donc s’engager à élaborer une législation nationale solide.
Cette législation devra couvrir plusieurs aspects essentiels :

 L’autorisation et la supervision des activités spatiales.
 La gestion des débris spatiaux, un enjeu clé pour préserver notre orbite.
 La réglementation de l’indemnisation en cas de dommages.
 Et enfin, l’immatriculation des objets spatiaux.

Cette démarche permettra de créer un cadre clair et attractif pour les investissements privés.
Mais ne nous y trompons pas : pour réussir, une politique spatiale ne peut se limiter à des textes de loi.
Elle doit être accompagnée d’un vaste effort de formation et d’éducation en droit spatial.
Former les talents, renforcer les capacités locales, c’est préparer l’Afrique à relever les défis de demain et à transformer l’espace en levier de développement socio-économique.

En d’autres termes, le droit spatial et la politique spatiale sont les deux faces d’une même ambition. L’un structure, l’autre incarne.
Ensemble, ils permettent à chaque État de définir une stratégie entre les exigences du droit international et les attentes du secteur privé.

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Des incitations fiscales fortes
et un cadre panafricain

Et cette stratégie ne serait pas complète sans une réflexion sur le cadre fiscal.
Car l’essor du secteur spatial en Afrique nécessite des incitations fortes : des crédits d’impôt pour les investissements dans les infrastructures spatiales – centres de recherche, ports spatiaux, satellites –, des exonérations fiscales temporaires pour attirer les entreprises, et pourquoi pas, une taxe « verte » sur les débris spatiaux pour responsabiliser les opérateurs et promouvoir une gestion durable.

Ainsi, en établissant une politique juridique et fiscale ambitieuse, l’Afrique ne se contente pas de réguler l’espace. Elle s’inscrit dans une dynamique visionnaire, où le droit et l’économie se mettent au service d’un avenir commun parmi les étoiles.

Mais l’Afrique ne peut se contenter de lois nationales.
Elle doit aussi envisager un cadre panafricain.

L’Agence Spatiale Africaine (AfSA) peut et va jouer un rôle central en :

 Facilitant la ratification des traités internationaux.

 Harmonisant les législations nationales.

 Encourageant la coopération entre pays avancés, comme l’Afrique du Sud ou l’Égypte, et ceux qui débutent dans ce domaine.

 Formant une nouvelle génération d’experts en droit spatial.

Enfin, elle peut porter la voix de l’Afrique dans les grandes négociations internationales, où se décide l’avenir de l’espace.

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Une gouvernance mondiale
efficace de l’espace

Pour terminer, j’aimerais évoquer le lien entre la politique juridique des activités spatiales en Afrique, que je viens d’esquisser, et le thème plus vaste de la gouvernance mondiale de l’espace, qui sont finalement intimement liés.
L’un ne peut aller sans l’autre.
Une gouvernance globale efficace commence toujours par des fondations juridiques solides sur le terrain, dans chaque pays, dans chaque région, dans chaque continent.

Pour l’Afrique, poser les bases d’une politique juridique de l’espace nationale et continentale n’est pas seulement un impératif local.
C’est une clé pour s’insérer dans les discussions internationales, pour défendre ses intérêts, mais aussi pour enrichir le cadre mondial avec une perspective unique, celle d’un continent qui connaît la valeur de la coopération, de la durabilité et de l’équité.

Car l’Afrique, en votant des lois spatiales, en harmonisant ses lois et en renforçant ses institutions, ne se contente pas de suivre le mouvement. Elle se prépare à jouer un rôle moteur dans la définition des règles qui régiront l’espace demain.

Et c’est ainsi que la politique juridique des activités spatiales devient un levier pour accéder à un enjeu plus grand encore : la gouvernance de l’espace, ce défi commun à toute l’humanité.

Mais la gouvernance de l’espace ne se limite pas à l’élaboration de règles.
Elle est une opportunité unique de redéfinir notre rapport à ce nouveau territoire encore inconnu, ou du moins peu réglementé et peu exploité.

Une opportunité pour l’Afrique de s’affirmer comme une puissance morale et visionnaire, capable d’apporter des solutions innovantes aux grands défis de notre époque : la gestion des ressources, la lutte contre les débris spatiaux, ou encore la préservation de l’espace en tant que bien commun.

Cette gouvernance peut reposer sur des principes que l’Afrique connaît bien.

Le respect de la durabilité, inscrit dans des textes pionniers comme la Convention africaine sur la nature et les ressources naturelles. L’équité, héritée des traditions de solidarité qui ont toujours marqué ce continent. Et enfin, la coopération, condition essentielle pour faire face aux défis globaux.

Avec une jeunesse qui représentera près de la moitié de la jeunesse mondiale en 2030, l’Afrique a une richesse inestimable : des esprits jeunes, créatifs, prêts à relever les défis de demain. C’est aux décideurs et acteurs de ce changement, de leur donner les outils, les cadres éducatifs et juridiques nécessaires pour qu’ils puissent contribuer pleinement à ce rêve collectif.

L’Agence Spatiale Africaine, en ce sens, a un rôle central à jouer.

En harmonisant les législations nationales, en formant les talents de demain, en défendant une vision panafricaine, elle peut faire de l’Afrique une puissance spatiale, non pas seulement par ses technologies, mais par son exemplarité en matière de gouvernance.

Oui, comme l’affirment certains, l’Afrique peut se surpasser dans la gouvernance de l’espace.
Elle peut incarner une vision nouvelle, fondée sur la justice, la durabilité et la responsabilité collective. Et ce faisant, elle ne défendra pas seulement ses propres intérêts. Elle contribuera à écrire un nouveau chapitre pour l’humanité.

Comme Nelson Mandela nous l’a appris : « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde. » Aujourd’hui, je dirais qu’une gouvernance de l’espace, inspirée par les valeurs africaines, est l’arme la plus puissante pour préserver notre avenir commun parmi les étoiles.

Je vous remercie.

Pierre MASQUART
Avocat au Barreau de Paris
Kimia-Avocats
Co-président des Rendez-Vous d’Afrique(s)

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