Bruno HERVET, VP exécutif de SUEZ chargé des Villes durables (1/2) : « Pour aider les villes à faire mieux avec moins, la clé est la transversalité »
Propos recueillis par Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris
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Bruno Hervet – Selon notre point de vue, qui peut être un peu différent de celui d’autres acteurs, une ville durable c’est avant tout une ville où l’on vit mieux.
Cette approche nous conduit à nous projeter dans l’économie des usages et des fonctionnalités, par opposition à un monde où l’on a surtout pensé le développement urbain autour des infrastructures.
Ce changement d’optique peut sembler anodin, mais en fait cela change tout ! D’abord parce qu’il faut intégrer l’inclusion dans le projet. Vivre mieux, pour qui ? Nous serons tous d’accord pour considérer que plus l’inclusion est large, plus l’on se dirige vers un projet qualifié de réussi – au sens où ce sont les gens, les usagers citoyens qui vont déclarer ces projets réussis, ou pas.
Ensuite, pour quoi faire ? Cette interrogation nous ramène toujours à deux mots-clés, les usages et les fonctionnalités associés aux projets. Pour illustrer mon propos, je citerai le cas d’un projet récent qui nous a été confié, à SUEZ et ses partenaires Bouygues Énergie et Services et Citelum-EDF, par la Métropole de Dijon, et qui me paraît le meilleur et le plus grand exemple à date d’un projet de ville intelligente, car l’infrastructure y est au service des usages et des fonctionnalités, et non pas l’inverse. Regardez…
[Bruno Hervet montre une vidéo sur Youtube, dont voici l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=1OIbLLzgeHk&list=PLJlFn0wDaB95hxp0Rnw3iT1ihh--b_A4D (attention lien film en anglais)
Ce que l’on y voit, en bref : un accident de moto aussitôt signalé au centre de commandement par un passant disposant d’une application ad hoc sur son portable ; un autre passant alerte lui aussi le poste de commandement pour indiquer un sac de déchets abandonné sur une allée ; l’afflux de spectateurs au stade avant un match de football… Et dans les trois cas, les opérateurs du centre de commandement où convergent les informations prennent aussitôt les décisions pour réguler les flux, alerter les pompiers et les services municipaux afin de déclencher les actions adéquates.]
Quel est le message que vous voulez faire passer avec cette vidéo ?
Bruno Hervet – C’est la première fois qu’à grande échelle une ville s’organise de manière transversale [L’agglomération Dijon Métropole compte 256 000 habitants, ndlr].
On crée ici de nouveaux usages autour du croisement entre l’intervention d’urgence, la régulation du trafic, la vidéosurveillance, en fait l’interaction citoyenne avec les services municipaux, chose qui jusqu’ici n’existait pas en tant que telle.
D’autres usages, qu’on ne voit pas dans cette vidéo, n’en sont pas moins prévus. Par exemple la gestion des alarmes incendie des bâtiments municipaux, ou encore l’optimisation de l’éclairage public. D’ailleurs, dans le cas précis de Dijon, avec cette nouvelle organisation transversale la ville va réaliser une économie de 65 % sur sa facture d’électricité pour l’éclairage public.
Le fait d’établir un poste de commandement unique et centralisé pour un certain nombre de fonctions – et c’est une innovation essentielle –, cela oblige à repenser l’ordonnancement et l’intervention de certains services municipaux dans le but d’obtenir une meilleure performance, ce qui est aussi une finalité de l’organisation transversale.
Autre illustration : l’exemple que chacun a pu constater dans son propre quartier d’une chaussée éventrée plusieurs fois au cours de la même année… avec autant de coûts directs et indirects générés pour la communauté des citoyens et la collectivité au sens large. Pour en finir avec ce genre de situation, il faut cesser de penser les services de la ville par silos – comme c’est traditionnellement le cas, avec un service de l’eau, un autre des déchets, un autre pour les transports, etc. Aujourd’hui, pour aider les villes à faire mieux avec moins, la clé est la transversalité.
On comprend bien l’intérêt de la transversalité, mais c’est un concept relativement nouveau, en tout cas dans sa mise en œuvre concrète… En quoi donc SUEZ peut-elle faire valoir ici ses savoir-faire historiques ?
Bruno Hervet – SUEZ a un rôle majeur à jouer dans cette nouvelle donne. Nous sommes là au cœur de notre métier d’opérateur de systèmes urbains complexes, ce que nous avons toujours fait depuis cent cinquante ans.
Car nous sommes des concepteurs, des constructeurs et surtout des opérateurs de systèmes urbains complexes – les réseaux enterrés que nous gérons depuis longtemps dans le monde entier sont très complexes. Et les réseaux en surface que nous opérons – la collecte des déchets, par exemple – le sont tout autant et exigent d’être en interaction quotidienne, voire à chaque instant, immédiatement, avec tout ce qui se passe dans une ville… C’est un métier ! Et c’est en nous référant à ce savoir-faire que nous ne croyons pas aux solutions-produit standards.
Dans le cas de Dijon, en termes de services qui nous sont délégués, la ville a souhaité engager sa transformation en pivotant autour d’une verticale qui est l’éclairage public. Une autre ville, en fonction de ses priorités, pourra envisager la structuration d’une priorité comparable et de construire la transversalité autour des questions de l’eau, des déchets, des transports…
Mais, quels sont les contours de la mission de SUEZ à Dijon ?
Bruno Hervet – Dijon est une ville où nous avons la délégation de service public pour la production et la distribution d’eau potable, le traitement et l’assainissement des eaux usées, ainsi que pour la collecte des déchets.
L’accident de moto montré dans la vidéo est intéressant, car les personnes que l’on voit recevoir les informations, puis alerter les secours et réguler le trafic pour leur faciliter l’intervention, ces personnes donc que l’on voit devant l’écran au Poste de Commandement Centralisé – c’est ainsi que la ville l’a appelé –, ce sont des collaborateurs de SUEZ. Des opérateurs rompus au métier de gérer ce qui se passe dans la rue, et déjà opérationnels à Dijon !
Pour eux, réguler un flux d’hydraulique ou ce qui se passe sur la chaussée relève de la même compétence-clé : la coordination et l’ordonnancement. Et si l’on veut dire que c’est un nouveau métier, n’oublions pas qu’il s’appuie sur des compétences éprouvées. Il faut séparer le métier et les compétences qui permettent de bien l’exercer.
Et la participation citoyenne ? qui est avec l’inclusion l’un des parangons mis en avant dans la démarche vers des villes durables ?
Bruno Hervet – Nous sommes là pour accompagner les uns et les autres, et bien entendu au service des habitants et des citoyens. Car cela ne peut pas fonctionner autrement… je ne vois pas comment on pourrait faire améliorer la qualité des services sans placer l’avis des usagers au cœur de notre action.
Qu’en est-il de l’Institut pour la Ville durable, dont vous êtes membre du bureau, où vous représentez le collège des entreprises ? et la task force sur la Ville durable mise en place par le Medef, autre outil de la projection internationale du savoir-faire français dans ce secteur ?
Bruno Hervet – En France, l’Institut pour la Ville Durable (IVD) est l’association créée en 2015 réunissant à parité les parties prenantes de la ville durable dans quatre collèges : État, Collectivités, Entreprises, Experts. Dans une logique de mise en réseau de ses adhérents, permettant de mutualiser et de valoriser les expériences, l’IVD a plusieurs missions : appuyer les projets les plus innovants, créer et animer le portail Internet de référence sur la ville durable, susciter et favoriser la recherche et les formations sur l’approche intégrée de la ville, soutenir le savoir-faire français à l‘export dans le domaine de la ville durable. Il est présidé par un élu, [le Président de la communauté urbaine de Dunkerque, ndlr].
L’IVD a vocation à être une sorte de think tank, et sa particularité de regrouper quatre collèges d’acteurs à parts égales lui confère une vraie valeur ajoutée. Nous comptons aujourd’hui une soixantaine d’adhérents.
Le site de l’IVD a été lancé à l’occasion du Barcelone Smart City Word Congress, qui est le plus grand congrès mondial du genre, et qui vient de se tenir du 13 au 15 novembre. Tous les travaux produits par l’IVD jusqu’ici y sont rendus publics.
Un autre outil est la task force ville durable du Medef, présidée par Gérard Wolff, qui est aussi membre du bureau de l’IVD. La finalité de la task force durable du Medef, c’est de promouvoir activement le savoir-faire français en termes de ville durable.
Que fait SUEZ dans le cadre de ces deux structures ?
Bruno Hervet – SUEZ est un contributeur très actif. Nous participons à l’accueil de nombreuses délégations étrangères, représentant des États comme des collectivités, et il nous arrive aussi d’accompagner des délégations françaises à l’étranger. Nous sommes là dans la logique de « show case », on montre ce que l’on sait faire. Beaucoup de pays exportateurs sont organisés de la même façon.
Quels projets avez-vous actuellement en gestation ?
Bruno Hervet – Nous en avons quelques-uns, mais il est trop tôt pour en parler. C’est tout un processus, avec plusieurs itérations, pour affiner au mieux les solutions. C’est à chaque fois du sur-mesure, car il n’y a pas deux villes pareilles.
C’est donc un processus toujours lent et long ?
Bruno Hervet – Nous y sommes habitués. Les services aux collectivités relèvent de projets d’envergure qui engagent la ville et son avenir, il est normal que cela prenne du temps, et il faut donc aussi des gens qui sachent porter cet effort dans la durée, comme SUEZ l’a toujours fait.
Quel message avez-vous délivré au Barcelone Smart City Word Congress ?
Bruno Hervet – Cette année, j’ai voulu que l’on se décale d’une approche peut-être encore trop techno-centrée portée par certains acteurs. Ainsi nous avons opté pour mettre en avant les questions de business models et de la performance des villes… Nous aurons l’occasion d’en reparler bientôt, si vous voulez !
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LIRE le volet 2/2 de l’entretien :
Bruno HERVET, VP exécutif de SUEZ chargé des Villes durables (2/2) :
« Pour les villes d’Afrique aussi, il faut réfléchir
d’abord en termes d’usages et de fonctionnalités »
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