Bénédict de Saint-Laurent
- B. de St-Laurent, DG d’ANIMA : « Les réussites de la coopération euromed »
Mal « vendue », peu connue, insuffisamment défendue –mais sans doute trop modeste aussi – la coopération euro-méditerranéenne est souvent jetée aux orties par les commentateurs. Rien ou presque ne serait sorti du processus de Barcelone. L’honnêteté commande pourtant de rectifier cette vision excessivement négative. Tout n’est pas rose entre Union européenne et pays partenaires méditerranéens, mais personne ne peut nier qu’un travail énorme a été engagé de part et d’autre, qu’ une multitude de projets existent et qu’une méthode de coopération est en place , prête pour un déploiement plus ambitieux dès lors que les décideurs politiques le voudront.
Parmi les exemples, les multiples accords d’association, la préparation d’un marché unique de près de 800 millions de consommateurs dès 2010 (pour un grand nombre de produits), la mise en commun des standards, des programmes pour mieux gérer l’eau (Meda-Water) ou l’énergie (marché intégré du gaz, gestion énergétique des bâtiments), une approche commune des patrimoines culturels (Med-Heritage), ou encore la mise en place en Egypte d’une base méditerranéenne pour gérer les nombreuses applications du GPS européen (Galileo). Les jumelages entre institutions, les cursus éducatifs communs (via le programme Tempus), les réseaux professionnels (par exemple dans l’innovation, la finance, le droit…) se sont multipliés de part et d’autre de la Méditerranée.
Côté financements, il est vrai que n’existent pas des fonds structurels à l’échelle de ceux qui ont été attribués dans le passé aux pays rejoignant l’Union européenne. Outre l’aide de la Commission, un flux public annuel de 2 milliards d’euros est investi par la Banque européenne d’investissement (et son bras méditerranéen, la FEMIP). En y ajoutant les aides publiques au développement (agences européennes comme l’AFD, KFW, mais aussi Banque Mondiale, Etats-Unis etc.), les pays partenaires méditerranéens reçoivent près de 10 milliards de dollars de fonds publics internationaux chaque année.
Mais la réponse du marché est plus spectaculaire encore. Selon la CNUCED, l’investissement étranger privé est passé en quelques années d’environ 10 milliards de dollars annuels (début des années 2000) à près de 60 milliards (en 2006 et 2007). Les entreprises du monde entier croient dans la Méditerranée.
Le capital-investissement private equity) n’est pas en reste, avec 15 milliards de dollars levés sur les 3 dernières années pour financer des entreprises de la région – où opèrent à présent 320 fonds. Les études du réseau ANIMA témoignent de la nouvelle attractivité d’une zone proche de l’Europe, bientôt arrimée au grand marché Euro-Med, située sur l’itinéraire majeur du commerce international (entre Asie et Amérique, 30% du trafic mondial de conteneurs transite par Suez ou Gibraltar), dotée de plateformes industrielles modernes (comme Tanger-Méditerranée, un gigantesque « hub » au nord du Maroc, qui accueille logisticiens, industrie automobile, sous-traitants etc.). Mais face à la timidité des opérateurs européens, les investisseurs du monde émergents (pays du Golfe, Inde, Chine, pays méditerranéens eux-mêmes etc.) sont devenus majoritaires.
Cet attrait a pour partie une origine européenne. En pesant en faveur de l’assainissement des finances, en poussant l’éducation et la démocratie, en développant certaines infrastructures – jamais assez, certes – la coopération européenne a contribué à remodeler les pays concernés. C’est évident en Turquie, où l’aiguillon européen a permis des progrès immenses en une décennie (que l’on pense à l’inflation des années 2000). Mais aussi en Egypte, où le gouvernement réformateur mis en place en juillet 2004 a profondément transformé l’économie – un peu à la manière des pays est-européens. Comme par hasard, ces deux pays sont à présent les champions régionaux en matière d’attraction d’investissement étrangers, que n’expliquent pas les seuls pétrodollars.
Exemple de « bébé » de Barcelone, le réseau ANIMA, sorte de syndicat des agences de développement économique du pourtour méditerranéen, a pu faire travailler ensemble une vingtaine de pays riverains pour promouvoir avec succès le site « Méditerranée » et contribuer à changer son image. Pour aller plus loin encore ANIMA a lancé un programme commun (Invest in Med) avec les entreprises (représentées par leurs fédérations), les chambres de commerce et les organisations internationales (ONUDI, Banque Mondiale, OCDE) pour véritablement « booster » la Méditerranée du business : multiplier les partenariats d’entreprise, accroître encore l’investissement privé, et surtout soutenir les PME, qui sont au cœur de cette bataille pour le développement.
Faisons le vœu que l’Union pour la Méditerranée permette de capitaliser sur ces acquis et de corriger les insuffisances ou les lourdeurs du processus de Barcelone. Cette initiative française a déjà créé une forte dynamique. Elle a fait bouger les lignes. Il faut soutenir son côté concret – approche projets, prise de conscience des Européens, changement d’image d’une Méditerranée engluée dans les conflits et les amalgames (du genre islam/intégrisme/terrorisme). Les entreprises, la société civile, les projets peuvent faire avancer les choses plus librement, plus vite que les politiciens.
Les pessimistes estiment que l’argent manquera et que les attentes seront déçues. Mais d’une part, beaucoup de moyens financiers restent mobilisables dès lors que la confiance est là – pour ne donner que quelques exemples, les revenus du tourisme pour les pays partenaires méditerranéens représentaient 42 milliards de dollars en 2006, les transferts des migrants approchent 20 milliards annuels, de même que les placements à l’étranger des élites de la région, et les fonds du Golfe potentiellement intéressés s’élèvent à une centaine de milliards.
D’autre part, comme le montre un hors série d’Enjeux Méditerranée publié en juillet 2008 (« 25 projets pour la Méditerranée », Diplomatie/ANIMA), beaucoup de projets utiles ne demandent guère d’argent ou peuvent s’autofinancer. L’essentiel est que les projets développés avec le sud soient de bonne qualité – ce qui est plus souvent le cas quand des opérateurs européens sont impliqués : des projets durables, qui créent un maximum d’activité locale de part et d’autre, une activité si possible à forte valeur ajoutée, avec le moins possible de dégâts sur les personnes et sur l’environnement.
L’Union pour la Méditerranée est l’occasion d’une « sortie par le haut » de la question méditerranéenne : passer enfin d’un approche défensive (sécurité, containment, relations dissymétriques) à ce partenariat ouvert qu’annonçait Barcelone. L’Europe a besoin de la Méditerranée, elle en aura de plus en plus besoin dans le futur. Il ne faut pas que sa stratégie soit basée sur la peur, mais sur la confiance. Ce n’est qu’en faisant évoluer les attitudes, en pariant sur la jeunesse, en s’appuyant sur des initiatives de terrain, qu’il sera possible répondre aux défis d’une région qui bouillonne – urbanisation, eau, création d’emplois, migrations, environnement, appétit de consommation, attentes démocratiques.
L’Euroméditerranée constitue potentiellement le pôle de développement le plus puissant à l’échelle mondiale, il peut devenir un modèle remarquable de coopération. A nous de jouer.
© Bénédict de Saint-Laurent / ANIMA -2008
Marseille, le 11 juillet 2008