Au déjeuner-débat du CIAN / Le Pr Frédéric ENCEL décrypte les incertitudes géopolitiques au Moyen-Orient et en Afrique
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par Alfred MIGNOT avec Desk AfricaPresse.Paris (APP)
@africa_presse
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« Depuis quelques jours, il se passe des choses incroyables pour la paix du monde, entre l’Iran et Israël, des aspects extrêmement négatifs et dangereux », a introduit Étienne Giros, Président du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), en interpellant l’invité d’honneur du déjeuner-débat du 20 juin sur l’avenir du régime iranien et les conséquences d’une éventuelle escalade régionale.
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Mythes pétroliers et réalités stratégiques
Frédéric Encel a d’abord tenu à démonter une idée reçue : « Mécaniquement, un conflit militaire n’occasionne pas une crise économique. » Il rappelle que l’impact des conflits sur les marchés pétroliers n’est plus aussi direct qu’en 1973, en raison de la diversification énergétique et de l’importance du gaz naturel, dont l’approvisionnement est désormais mondialisé.
Si une extension du conflit dans le Golfe provoquerait sans doute une hausse du prix du baril, Encel insiste sur la nécessité de regarder au-delà du seul prisme pétrolier, dans un contexte de décarbonation croissante des économies et de croissance mondiale atone.
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Trump et l’imprévisibilité comme doctrine
Interrogé sur la position américaine, Encel souligne le caractère profondément mercantile de la politique étrangère de Donald Trump, davantage tournée vers l’Arabie Saoudite que vers Israël : « Trump ne s’intéresse pas à Israël. Il s’en fout. » L’ancien président, rappelle-t-il, a investi massivement dans les pétromonarchies du Golfe et a fait de Riyadh la première étape de son premier mandat, dès mai 2017.
Pour Encel, Trump incarne une imprévisibilité radicale, comparable à celle de Caligula : « Le personnage qui se rapproche le plus de Donald Trump, en termes d’exercice de l’État, c’est Caligula. » Cette imprévisibilité, loin d’être stratégique, désoriente alliés et adversaires, et rend toute anticipation hasardeuse, y compris sur la question iranienne.
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L’Iran et l’enjeu nucléaire
Sur le terrain militaire, le professeur Encel estime qu’une victoire totale contre l’Iran est illusoire, même si le régime ne peut pas non plus l’emporter sur le plan conventionnel. L’enjeu fondamental reste la question du nucléaire militaire : « C’est oui ou non le nucléaire à usage militaire, potentiellement, aux mains de l’Iran. C’est tout. Il n’y a pas d’autres enjeux. »
Selon lui, la capacité de nuisance de Téhéran, via ses proxys ou ses moyens balistiques, ne saurait masquer la fragilité structurelle du régime, mais aussi la difficulté de le faire tomber par la seule force.
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La France, puissance « pauvre »
mais (encore) crédible
Le débat s’est ensuite élargi à la place de la France sur la scène internationale. Pour Frédéric Encel, la France dispose encore d’un « jeu complet » en matière de puissance – économique, diplomatique, militaire, démographique – mais ce jeu s’appauvrit.
Il plaide pour une stratégie fondée sur la crédibilité – « matière géopolitique précieuse » – qui suppose la capacité à agir là où sont les intérêts et les valeurs françaises, notamment dans l’espace maritime mondial, véritable atout stratégique.
Il met en garde contre l’érosion des moyens militaires et appelle à renforcer le partenariat stratégique avec le Royaume-Uni, seule autre puissance européenne disposant d’une marine de rang mondial.
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Afrique : instabilité chronique
et défis structurels
Interrogé sur l’Afrique, l’orateur pointe la faiblesse de la notion d’intérêt collectif et la persistance de la rente comme deux facteurs majeurs d’instabilité. L’absence d’un sentiment national fort, la prééminence des appartenances claniques ou ethniques et la dépendance à la rente minière ou pétrolière alimentent des conflits perpétuels, du Sahel aux Grands Lacs. Il note également le rôle délétère des puissances extérieures dans l’instrumentalisation des crises, notamment au Soudan.
Sur la question de la jeunesse africaine, souvent présentée comme l’avenir du continent, Encel se montre prudent : « Tout dépend de la manière dont les différents régimes politiques en place vont accepter, je dis bien accepter, de gérer, de former cette jeunesse. » Le potentiel démographique ne se transformera en atout que si les États investissent dans l’éducation, la formation et l’inclusion.
En conclusion, Frédéric Encel invite à la lucidité et au pragmatisme face à la complexité du monde. Citant Shimon Peres, il rappelle que « le pessimiste et l’optimiste finiront tous les deux par mourir. Mais ils n’auront pas eu la même vie. »
Finalement le propos du professeur Encel s’avère un appel à agir avec réalisme, sans céder ni au fatalisme ni à l’angélisme, dans un environnement international incertain où la crédibilité reste la clef de voûte de toute puissance.
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Le professeur Frédéric ENCEL vient de publier « La guerre mondiale n’aura pas lieu » aux Editions Odile Jacob.
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* ASOM : Académie des Sciences d’Outre-mer (Paris)
https://www.academieoutremer.fr/
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