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Au Forum de Bamako / Alioune SALL, Directeur de l’Institut des Futurs Africains : « Il y a des solutions autres que militaires à la crise du Sahel »

29 mai 2024
Au Forum de Bamako / Alioune SALL, Directeur de l'Institut des Futurs Africains : « Il y a des solutions autres que militaires à la crise du Sahel »
Alioune SALL, Directeur exécutif de l’Institut des Futurs Africains et membre du Comité scientifique du Forum de Bamako. © Hady Photo
Membre du Comité scientifique du Forum de Bamako, qui vient de tenir sa XXIVe édition du 23 au 25 mai dans la capitale malienne, le Professeur Alioune SALL est assurément l’un des esprits les plus brillants du Continent. Aux termes de trois jours de débats consacrés à la Culture « facteur de Réconciliation, Paix et Développement », il résume et analyse pour nous les travaux de ce Forum à nul autre pareil en Afrique. Entretien exclusif.

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Propos recueillis par notre envoyé spécial à Bamako (Mali),
Bruno FANUCCHI pour AfricaPresse.Paris (APP) @africa_presse

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AfricaPresse.Paris (APP) – Professeur, n’êtes-vous pas une figure historique du Forum de Bamako dont vous prononcez toujours la Conférence inaugurale avant de faire la synthèse des travaux ?

Alioune SALL – Cela fait maintenant deux décennies que je participe au Forum de Bamako et je dois cette participation active qui perdure à l’amitié de Abdoullah COULIBALY, qui en est le fondateur et gentiment m’invite toujours à ces rencontres. C’est également à son amitié que je dois d’être choisi pour me livrer à deux exercices, périlleux par moments mais toujours intéressants, consistant à donner le ton aux travaux par le biais de ce que l’on appelle bien pompeusement une conférence inaugurale, qui n’est en réalité rien d’autre qu’un recadrage de la problématique de chaque édition. La synthèse des travaux est un exercice encore plus périlleux : bien souvent pris par le temps, nous n’avons pas le recul nécessaire pour tirer toute la substantifique moelle des entretiens et débats toujours fort riches, et il y a donc un aspect subjectif dans ces recommandations.

APP – Dans la grave situation que connaît le Mali et pratiquement tout le Sahel, n’est-ce pas un petit exploit ?

Alioune SALL – C’est parfaitement exact. Évoquer la réconciliation dans une région qui est aujourd’hui caractérisée par la conflictualité constitue un double pari. C’est faire le pari que la situation actuelle n’a rien d’une fatalité à laquelle nous serions condamnés en permanence et qu’il est donc possible de sortir de la conflictualité et d’aller vers la réconciliation. Le second pari, c’est que la culture – et non les armes – peut être le pont vers la réconciliation. Il y a donc des solutions autres que militaires à la crise que connaît le Sahel. La culture peut être le remède à la crise. C’est un double pari ambitieux et qui ne manque pas de fondements.

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« La culture peut être le remède
car il n’y a pas de fatalité historique »

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APP – La culture peut donc être un réel « facteur de Réconciliation, de Paix et de Développement », selon le thème retenu pour ces trois jours de travaux ?

Alioune SALL – Je le crois, en effet. On a pu voir durant nos travaux que la culture – aussi bien dans ses dimensions anthologiques qu’instrumentales – permet de gérer les différences. Or, un conflit naît toujours de la difficulté à gérer les différences et quand celles-ci sont mal gérées elles évoluent et deviennent des différends. La culture est précisément ce qui devrait permettre d’empêcher la transformation de ces différences en différends. Car la culture permet de poser sur l’autre un regard qui n’est pas nécessairement placé sous le sceau de l’hostilité, mais plutôt sous celui de la fraternité.

Le Président Abdoullah COULIBALY entouré des panélistes et invités d’honneur à l’issue de la cérémonie d’ouverture du Forum de Bamako ©BF

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APP – Quels furent les principaux temps forts de ce Forum ?

Alioune SALL – À tout seigneur, tout honneur, je pense bien évidemment au discours d’ouverture emprunt d’émotion du Président Abdoullah CCOULIBALY. Il a su avec une très grande éloquence exprimer le sentiment très répandu aujourd’hui selon lequel il faut avoir l’audace de nous regarder pour avoir l’audace d’aller vers l’avenir. C’est quelque chose d’important et qui est – quand on y réfléchit bien – l’essence même de la culture : c’est ce qui nous permet de nous relier à un passé, de nous insérer dans le présent et surtout nous pousse à nous projeter dans l’avenir.

Un autre temps fort aura été constitué par la diversité des perspectives dégagées quant à ce que pouvait être la culture, dans un contexte de fragmentation qui est celui de l’Afrique et – au delà de l’Afrique – du monde qui continue d’être divisé, abîmé, menacé. Mais le message fort de Bamako, c’est qu’il n’y a pas de fatalité historique pour qu’il en soit ainsi. C’est un peu le fil d’Ariane qui a traversé tous les débats et tous les panels sur la valorisation des biens culturels et la question de leur retour, les industries créatives, etc.

Sur tous ces sujets qui auraient pu faire l’objet d’un examen purement technique, le Forum a été l’occasion d’aller au-delà de la froide analyse et d’envisager des réponses pratiques qui pourraient permettre de valoriser la culture.

APP – Des Prix d’excellence ont d’ailleurs été décernés lors de la cérémonie de clôture...

Alioune SALL – Je crois en effet que l’un des temps forts aura également été la reconnaissance par le Forum de figures iconiques telles que le créateur Alphadi ou l’historienne Adam Ba Konaré, qui se sont vus décerner des Prix d’excellence. Sans oublier aussi la reconnaissance d’acteurs qui – sans avoir la même aura – sont au quotidien confrontés à des problèmes auxquels ils essaient de trouver des solutions dont certaines s’appuient sur la culture. C’est le cas de ces jeunes boursiers d’une compagnie privée qui leur a permis de s’équiper sur le plan intellectuel en entrant à l’IHEM (Institut des Hautes Études en Management) ou ceux du Think tank marocain Policy Center for the New South, qui est celle de proposer un autre type de partenariat entre l’Afrique et le monde.

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« Ce Forum fêtera l’an prochain ses 25 ans »

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APP – La projection d’ « African Glory » ne mérite-t-elle pas aussi une mention spéciale ?

Alioune SALL – Je le crois en effet. D’autant plus que ce très beau film de Thierry BUGAUD avec Michael LONSDALE et Cheick Tidiane SECK a été projeté en avant-première en présence de ce dernier que l’on ne présente plus. Ce fut donc encore un temps fort : c’est l’ouverture du Forum à d’autres narratifs, à d’autres imaginaires, à un autre regard sur ce qu’a été l’Afrique dans le processus de globalisation de ce monde. Et qu’il y ait un film qui montre que l’Afrique a joué sa part et a été présente dans ce nouveau monde, c’est quelque chose qui me semblait fort utile. Surtout dans un contexte où la diplomatie culturelle et le « soft power » de manière générale prennent de plus en plus d’importance. Montrer une autre réalité et une autre image de soi est essentiel pour mériter le respect des autres et pour gagner la confiance en soi.

Le Grand Reporter Bruno Fanucchi lors de son entrevue avec Alioune SALL, Directeur de l’Institut des Futurs Africains. © Hady Photo

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APP – Peut-on dire, pour conclure, que ce Forum est à nul autre pareil en Afrique ?

Alioune SALL – Ce ne serait pas faux de le dire. Certes, il existe en Afrique d’autres espaces de réflexions, mais j’en connais peu qui aient réussi à se tenir de façon aussi régulière. Depuis 24 ans, il n’y a pas eu une seule année sans que le Forum ne se tienne, ce qui est déjà un exploit. D’autres fora sont peut-être plus connus, avec une plus grande fortune médiatique, mais la régularité n’est pas au rendez-vous.

Le Forum de Bamako est donc à nul autre pareil, de par également sa capacité à être à l’écoute des besoins du moment. Ce n’est pas un forum économique, social, géopolitique ou un forum consacré aux questions d’environnement, mais c’est un forum où rien de ce qui est humain n’est étranger aux préoccupations des acteurs et des participants. « Homo sum et humani nihil a me alienum est », ce vers de Térence que l’on pourrait traduire ainsi « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger » pourrait être la devise du Forum de Bamako.

L’an prochain, ce Forum fêtera ses 25 ans. C’est un âge important car c’est l’espace d’une génération. Il faudra donc se préparer à affronter les défis d’une autre génération et à passer la main à d’autres de façon à ce qu’une nouvelle créativité et de nouvelles figures émergent et peut-être aussi de nouveaux discours.

APP – Un dernier mot sur l’Institut des Futurs Africains que vous dirigez : de quoi s’occupe-t-il vraiment ?

Alioune SALL – C’est un Think tank qui essaie de comprendre les dynamiques du Continent dans six domaines clés pour son avenir : l’économie, le social, le politique, l’environnement, le culturel et la technologie. Autant de domaines qui donnent un sens et forment notre présent et qui auront, bien entendu, une incidence sur le futur de l’Afrique. Nos réflexions et analyses visent à s’équiper pour affronter les défis qui vont se présenter à nous. Car il vaut mieux toujours anticiper les événements plutôt que de les subir. Anticiper l’avenir pour ne pas le subir !

EN SAVOIR PLUS :
www.forumdebamako.org

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