Au Forum Europe-Afrique de La Tribune à Marseille / Selena SOUAH, PDG de « Revolution’Air » : « Le numérique, c’est l’enjeu du siècle en Afrique »
.
Propos recueillis par notre envoyé spécial à Marseille,
Bruno FANUCCHI pour AfricaPresse.Paris (APP) @africa_presse
.
AfricaPresse.paris (APP) – Parlons tout d’abord un peu de vous, de l’originalité de votre parcours...
Selena SOUAH – Née au Gabon, je suis arrivée en France à l’âge de 10 ans et j’ai intégré l’internat de la Légion d’honneur à Saint-Denis, car ma famille a toujours vécu au Gabon. Comme j’y retournais pendant les vacances scolaires, cela m’a permis de conserver ces deux cultures : française et gabonaise. J’ai fait en France une école de commerce et suis diplômée d’un Master 2 en Finance d’entreprise de l’ISC Paris (Promotion 2012). Ce qui est important pour moi, c’est de conserver ces liens Europe-Afrique. Je suis aujourd’hui entrepreneure en télécommunications et dans le digital.
APP – Pourquoi avoir choisi le secteur des Télécoms ?
Selena SOUAH – J’ai choisi les télécommunications pour m’investir en Afrique tout simplement parce qu’aujourd’hui 78 % de la population africaine n’est toujours pas connectée à Internet, que ce soit mobile ou fixe. Or, pour moi, Internet, c’est le savoir, le voir et le pouvoir. Ne pas avoir accès à Internet me semble insensé. Me lancer à 29 ans dans les Télécoms fut un véritable challenge car c’est un secteur assez particulier. Mes concurrents ont tous la soixantaine et ont fait fortune avant d’arriver dans ce secteur. Moi, j’ai fait l’inverse.
Beaucoup d’opérateurs des Télécoms en Afrique ne sont d’ailleurs pas africains, j’ai donc aujourd’hui un grand avantage sur eux. Je vous donne un exemple car c’est mon intime conviction : on ne peut pas demander à un Breton d’être concerné par les problèmes à Ouagadougou ou même à Libreville. Cela fut mon propos lors du sommet des Télécoms GSMA à Kigali car, à un moment donné, il faut aussi que les Africains se concentrent à trouver des solutions par eux-mêmes pour notre propre continent.
.
« À 29 ans, j’ai fondé ma société
au Rwanda, ce fut un véritable challenge »
« À 29 ans, j’ai fondé ma société
au Rwanda, ce fut un véritable challenge »
.
APP – Quelle est cette société que vous avez créée et rapidement développée avec un certain succès au Rwanda ?
Selena SOUAH – C’est la société « Révolution’Air » – baptisée ainsi sur ce jeu de mots – que j’ai créée à 29 ans au Rwanda. À Kigali, Révolution’Air est un fournisseur d’accès Internet ayant pour objectif d’impacter positivement l’économie des pays africains via le renforcement du réseau informatique.
La société se donne pour objectif de figurer parmi les premiers opérateurs à consolider les offres Internet/ téléphone/télévision IP en Afrique, en mettant la vision panafricaine au cœur de sa stratégie de développement.
L’Afrique – j’y reviens – est le deuxième continent le plus peuplé, avec la population la plus jeune et pourtant c’est le continent le moins connecté. La révolution Internet a apporté des opportunités économiques et sociales sans précédent dans le monde entier. C’est pourquoi – avec un associé – nous avons décidé tout naturellement de créer un Réseau Internet Panafricain qui doit permettre aux habitants de ce continent de bénéficier d’Internet et du potentiel de développement qu’il induit.
.
APP – Mais ce sont les zones rurales qui vous intéressent en priorité...
Selena SOUAH – À Kigali, ma société vient d’avoir en 2022 la licence du gouvernement pour quinze ans afin de connecter les populations. Mais ce qui m’intéresse davantage, ce sont les populations dans les zones rurales car, aujourd’hui, dans certains pays d’Afrique, ce sont les capitales qui sont les plus équipées. Mais si l’on veut développer l’éducation, la santé ou d’autres secteurs clés, cela passe aussi par le numérique.
Je vous donne un exemple concret : lorsqu’un professeur est chargé d’aller enseigner dans une zone rurale, il ne voudra pas aller s’installer avec sa famille parce que cela ne sera pas réellement développé alors qu’avoir Internet permettrait de développer des cours en ligne, quitte à avoir une seule personne qui puisse justement rendre ainsi accessible l’éducation.
APP – Femme d’influence, ne faites-vous pas partie d’autres cercles qui justifient votre présence ici ?
Selena SOUAH – C’est parfaitement exact. Je suis membre du Conseil d’administration d’ASPEN Institute France, qui est un think tank né à Aspen dans le Colorado, aux États-Unis. Nous sommes aujourd’hui présents dans quatorze pays dans le monde et constituons un réel réseau d’influence.
La branche française d’ASPEN Institute organise tous les deux ans en France une rencontre Europe-Afrique avec un certain nombre de leaders africains. On se retrouve tous à Annecy (Savoie) à la Fondation Bio Mérieux pour trouver des solutions idoines visant à renforcer la relation Europe-Afrique.
Venant de nos deux continents, nous sommes une cinquantaine réunis pendant trois jours pour passer en revue et plancher sur les sujets qui nous semblent les plus importants, que ce soit la gouvernance, la santé, l’éducation, etc. Il y a là des politiques, des représentants du secteur privé comme des administrations publiques pour un véritable « brainstorming » et le rapport qui en ressort est proposé à des institutions. Je suis membre également de Women inTech, dont le prochain sommet – après celui de Paris – se déroulera au Brésil.
APP – Comme vous voyagez beaucoup, vous avez eu l’idée d’une autre innovation. De quoi s’agit-il ?
Selena SOUAH – Jeune entrepreneure, j’ai toujours énormément voyagé en Europe et en Afrique, bien sûr, mais aussi en Asie et au Moyen-Orient. Dans les déplacements professionnels, le temps est un luxe. On perd un temps précieux à l’aéroport ou dans les hôtels. Avec Regcard, j’ai donc cherché à supprimer une partie de ces contraintes en créant une carte d’enregistrement unique et virtuelle afin de simplifier l’arrivée et le départ, en évitant les formalités à la réception des hôtels.
Avec ma nouvelle application, qui sera effective en juin, chacun aura la possibilité, grâce à un QR code unique renseigné au préalable, de donner accès aux personnes de son choix, à tout ou partie de son profil/préférences, et ceci en toute sécurité.
.
« L’Afrique abrite moins de 1 %
des centres de data dans le monde ! »
« L’Afrique abrite moins de 1 %
des centres de data dans le monde ! »
.
APP – Dans le panel consacré au « leadership créatif », auquel vous participiez à ce Forum Europe-Afrique de Marseille, vous avez mis en lumière l’intérêt du numérique...
Selena SOUAH – Pour moi, le numérique, c’est l’enjeu du siècle en Afrique notamment. Pourquoi ? En dehors des États-Unis et de la Chine, le reste du monde n’a pas de souveraineté numérique. Et d’ailleurs l’extraterritorialité de la loi américaine en ce domaine nous expose tous à la juridiction américaine.
Donc, si l’Europe veut rester le premier partenaire de l’Afrique, elle est obligée de surfer sur cette vague du numérique. C’est un défi commun. Il nous faut donc développer cette souveraineté numérique, protéger notre data et créer des algorithmes. Car l’Afrique représente aujourd’hui moins de 1 % des centres de data dans le monde !
APP – Dans le monde des affaires, pourquoi la francophonie économique a-t-elle si peu de place ?
Selena SOUAH – Le français est ma langue maternelle. Je suis fière de parler français et de représenter cette francophonie économique qui ne demande qu’à prospérer. Mais lorsque l’on parle de Tech en Afrique, les deux tiers des fonds levés se répartissent entre le Kenya, l’Afrique du Sud, l’Égypte et le Nigeria, quatre pays anglophones. En Afrique, et même au Rwanda, beaucoup de gens parlent français et beaucoup d’affaires peuvent se négocier et se faire en français. Mais, pour lever des fonds, il faut bien reconnaître que l’anglais reste très important et vraiment la langue des affaires.
APP – Un dernier mot, pour conclure cet entretien, sur ce Forum Europe-Afrique. C’est désormais un rendez-vous incontournable ?
Selena SOUAH – Depuis que ce Forum organisé par La Tribune et La Tribune Afrique existe, je n’ai jamais manqué une édition et j’ai toujours été panéliste. Pour moi, depuis la première édition en 2022, c’est même un devoir d’y assister. Pourquoi un devoir ? J’estime qu’étant Franco-gabonaise j’ai cette double culture et ma voix compte, ma perception des choses compte. Le but, c’est de faire évoluer ces relations entre l’Europe et l’Afrique et, ici, j’en apprends aussi beaucoup des autres panélistes et intervenants.
C’est donc un rendez-vous incontournable et, pour moi, un devoir d’y participer.
EN SAVOIR PLUS :
www.regcard.com
.
.
INSCRIPTIONS LIBRES et OBLIGATOIRES pour assister à la XIIIe Conférence des Ambassadeurs Africains de Paris, qui se tiendra à l’Hôtel de Lassay, Salle Colbert, le jeudi 30 mai à 10 h, sur le thème : « Comment dérisquer investissements et entreprises dans les pays frontaliers du Sahel en crise ? »
◊ ◊ ◊