AfricaPresse.Paris

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Propos recueillis par notre envoyé spécial à Marseille,
Bruno FANUCCHI pour AfricaPresse.Paris (APP) @africa_presse

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AfricaPresse.paris (APP) – Quel est le sens de votre présence dans un Forum consacré à l’Afrique ?

Oleksandra MATVIICHUK – Ukrainienne, j’incarne un État qui a recouvré son indépendance depuis seulement 1991. Nous avons longtemps été sous le joug de la Russie et nous nous sommes battus pour notre indépendance. Depuis cette date, nous avons eu l’opportunité de retrouver notre liberté et notre souveraineté et de pouvoir bénéficier de cette transition démocratique pour accéder à l’indépendance. En raison de cette domination russe, nous avions très peu de relations avec d’autres États et notamment les pays africains. Et je suis très heureuse d’être ici, à ce Forum de Marseille, pour accroître et améliorer nos relations avec l’Afrique.

APP – D’autant plus que votre pays ouvre actuellement des ambassades sur le Continent...

Oleksandra MATVIICHUK – C’est exact. Nous venons ainsi d’ouvrir une ambassade en Côte d’Ivoire et d’autres sont prévues. J’espère que ce processus d’instauration de relations diplomatiques avec de nombreux pays africains se déroulera rapidement, car nous avons besoin de contrecarrer au plus vite l’intense propagande et désinformation russe sur le Continent, mais en réalité cela prendra un certain temps. Bien que nous soyons éloignés géographiquement, nous sommes assez proches en termes de valeurs. Plusieurs États africains savent ce que c’est de se battre pour leur indépendance et leur liberté. Nous pouvons donc beaucoup apprendre de l’expérience de ces États africains.

APP – Comment expliquez-vous que plusieurs pays d’Afrique (Centrafrique, Mali, Burkina Faso ou Niger) aient un faible pour Poutine et accueillent sur leur territoire les mercenaires du groupe Wagner – rebaptisé « Africa Corps » – qui vous font aussi la guerre en Ukraine ?

Oleksandra MATVIICHUK – C’est le même plan que la Russie de Poutine impose dans plusieurs États. La Russie et ses mercenaires ont déjà commis de nombreux crimes en Tchétchénie, en Moldavie, en Géorgie, en Syrie, mais aussi en Libye, au Mali et dans les pays que vous venez de citer... Et je viens ici les dénoncer publiquement. Car, aujourd’hui en Ukraine, nous avons l’opportunité de briser le cycle de l’impunité.
Nous, les Ukrainiens, ne nous battons pas uniquement pour nous-mêmes. Nous nous battons pour stopper définitivement cette impunité dont bénéficie sur la scène internationale la Russie qui se croit tout permis.

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« Cette guerre d’agression a commencé en réalité
il y a dix ans, avec l’annexion de la Crimée »

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APP – Vous vous battez aussi pour l’Europe ?

Oleksandra MATVIICHUK – Nous nous battons, en effet, pour la liberté en Europe et la défense de ses valeurs car nous sommes tous inter-connectés. Laissez-moi vous expliquer l’origine et les véritables racines de cette guerre. Pour la communauté internationale, la guerre en Ukraine est devenue visible à partir de février 2022 et le déclenchement de ce que Poutine a appelé son « opération spéciale », mais en réalité cette guerre d’agression a commencé il y a dix ans, en mars 2014, et l’annexion de la Crimée par la Russie.

Pourquoi Poutine a-t-il envahi la Crimée et provoqué dès 2014 de sérieux troubles dans les régions russophones du Donbass, dans l’Est de l’Ukraine ? Parce que dix ans plus tôt, en 2004, le peuple ukrainien s’était déjà révolté contre les graves injustices commises par le « grand frère » russe en Ukraine. Des millions de personnes sont descendues dans la rue pour manifester pacifiquement contre la mainmise de la Russie sur l’Ukraine. Ce fut la « Révolution orange de la dignité » !

Et quand le régime pro-russe – alors au pouvoir à Kiev – a été battu, nous avons eu la chance de mettre en place une transition démocratique et, pour pouvoir briser cet élan démocratique et ce souhait de l’Ukraine de se rapprocher de l’Union européenne, la Russie de Poutine a multiplié les agressions et provocations dans notre pays redevenu indépendant, et préparé de longue date son invasion de l’Ukraine.

APP – Avocate et Présidente du Centre pour les libertés civiles (fondé à Kiev en 2007), vous enquêtez depuis dix ans sur les crimes de guerre commis dans votre pays. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Oleksandra MATVIICHUK – Nous nous battons pour recenser, enquêter et dénoncer de nombreux crimes de guerre commis par les troupes russes en Ukraine. Car, chez nous, l’occupation russe signifie des enlèvements et des disparitions, des viols et des abus sexuels, des tortures et des détentions arbitraires, des fosses communes et des déportations d’enfants !

J’ai moi-même rencontré et interviewé des centaines de personnes qui ont survécu à la captivité russe en Ukraine. Ils m’ont raconté des histoires horribles : comment ils ont été battus jour et nuit, violés, enfermés dans des boîtes et torturés avec des chocs électriques, des ongles arrachés - et je vous passe toutes les autres horreurs – pour qu’un jour justice leur soit rendue.
La Russie de Poutine utilise délibérément les crimes de guerre pour susciter la peur et tenter de briser la résistance du peuple ukrainien.

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« En deux ans, nous avons recensés
plus de 70 000 crimes de guerre »

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APP – Combien de dossiers avez-vous déjà instruit à ce sujet ?

Oleksandra MATVIICHUK – En seulement deux ans, depuis l’invasion russe de l’Ukraine de février 2022, nous avons réuni plusieurs organisations régionales sur notre « national network » et avons réussi à recenser, identifier et documenter plus de 70 000 crimes de guerre !

C’est le système que l’occupant russe utilise pour terroriser la population et parfaire son annexion du pays. Je vous raconte une histoire vraie : quand une grosse bourgade de l’est du pays a été libérée de l’occupation russe par l’armée ukrainienne, nous avons découvert 319 tombes d’enfants. Et nous découvrons encore aujourd’hui ce genre d’horreurs car l’occupant se croit tout permis.

APP – De nombreux enfants ukrainiens n’ont-il pas été aussi déportés en Russie ?

Oleksandra MATVIICHUK – C’est un très grave problème. Quelque 19 000 petits Ukrainiens ont déjà été déportés en Russie pour y être naturalisés et adoptés de force par des familles russes. Et devenir ainsi des petits Russes coupés définitivement de leur famille d’origine. Et encore ne s’agit-il là que de la partie émergée de l’iceberg. Depuis deux ans, seuls 400 d’entre eux ont pu être récupérés et retrouver leur vraie famille en Ukraine. C’est un véritable génocide, dont Poutine sera redevable devant la CPI (Cour pénale internationale) et qui fait partie de sa politique délibérée visant à éradiquer la nation ukrainienne dont il nie l’existence.

APP – C’est le combat qui vous a valu d’obtenir le Prix Nobel de la Paix en décembre 2022 ?

Oleksandra MATVIICHUK – Bien sûr ! Un Prix dont je suis très fière et qui récompense l’inlassable travail du Centre pour les Libertés civiles que je dirige. Un Prix que je partage avec mes colauréats : l’opposant biélorusse Alès Bialiatski (actuellement emprisonné) et l’organisation « Mémorial », officiellement mise hors-la loi et dissoute sur ordre de Poutine en décembre 2021. Deux mois seulement avant l’invasion de l’Ukraine. Mais la défense de l’Ukraine, c’est le combat et l’histoire d’une vie.

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« C’est très important pour nous, Ukrainiens,
de savoir que nous ne sommes pas seuls »

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APP – Vous sentez-vous menacée, aujourd’hui ?

Oleksandra MATVIICHUK – Je vis à Kiev et, comme beaucoup de mes compatriotes, nous sommes constamment en danger ! En raison des incessants bombardements russes qui font nuit et jour d’innombrables victimes au sein de la population civile. Chaque soir, quand on va se coucher, on ne sait pas ce qui va se passer et si l’on sera toujours en vie le lendemain... Ici, à Marseille, je me sens totalement en sécurité, mais je vais bientôt rentrer à Kiev, c’est chez moi.

APP – Un dernier message à l’adresse des Français et, bien sûr, des Africains présents ici ?

Oleksandra MATVIICHUK – Nous sommes d’abord extrêmement reconnaissant à tous ceux qui aident l’Ukraine dans cet épisode dramatique. C’est très important de savoir que nous ne sommes pas seuls. Par son agression de l’Ukraine et sa violation du droit international, la Russie prouve au monde entier qu’avec une armée importante – qui ne respecte aucune loi de la guerre – elle peut faire tout ce qu’elle veut.

Et si nous laissons faire la Russie, elle ne s’arrêtera plus et d’autres puissances lui emboîteront le pas pour faire la même chose. Si on n’arrête pas Poutine en Ukraine, il va aller plus loin et menacer la Pologne, les Pays baltes et bien d’autres pays voisins car la Russie est un empire qui veut toujours s’étendre et ne connaît pas de frontières. Les Africains doivent ouvrir les yeux au plus vite sur ce régime criminel et ne plus collaborer de quelque façon que ce soit avec l’agresseur russe.

EN SAVOIR PLUS :
https://ccl.org.ua

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INSCRIPTIONS LIBRES et OBLIGATOIRES pour assister à la XIII^e Conférence des Ambassadeurs Africains de Paris, qui se tiendra à la Salle Colbert de l’Assemblée nationale, le jeudi 30 mai à 10 h, sur le thème : « Comment dérisquer investissements et entreprises dans les pays frontaliers du Sahel en crise ? »

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