Arnaud FLORIS (Bpifrance) : « De Dakar à Gaborone, ce que nous enseignent ceux qui produisent (en silence) »
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Une contribution de
Arnaud FLORIS
Coordinateur Afrique de Bpifrance,
en poste à Abidjan, Côte d’Ivoire
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Ici, pas de miracle. Juste une mécanique patiente :
– Une PME qui a démarré dans l’import-export et commence à construire une usine de transformation d’anacarde ;
– Une petite unité textile qui forme ses opérateurs sur place, en partenariat avec une entreprise indienne ou européenne ;
– Une PME qui transforme localement des produits agricoles sans dépendre d’importations ;
– Un logisticien guinéen, botswanais ou ivoirien qui connecte les maillons d’une chaîne d’approvisionnement informelle avec méthode.
Pas de modèle à copier. Mais des leçons à tirer.
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Une nouvelle génération
silencieuse… mais puissante
Ce qui frappe, partout où l’on va – de Dakar à Lusaka, de Conakry à Gaborone – c’est l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs et de dirigeants.
Souvent dans l’agroalimentaire, le BTP ou l’énergie, ils développent des PME agiles, solides et prospères, souvent à contre-courant des cycles politiques ou des contextes macroéconomiques.
Leur point commun ?
Une approche radicalement pragmatique : produire, livrer, transformer, recruter, investir.
Loin des débats idéologiques qui accaparent parfois l’espace public en Europe ou en France, ces acteurs se concentrent sur le concret. Ils avancent. Et ils réussissent.
Et surtout : leurs parcours sont multiples. Diplômés de grandes écoles ou formés sur le tas, issus de familles industrielles ou anciens salariés reconvertis, parfois d’origine libanaise, indienne ou asiatique, installés ou de retour après un parcours international…
C’est cette diversité de trajectoires qui fait la richesse des écosystèmes.
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Une souveraineté discrète,
mais bien réelle
Ceux qui produisent aujourd’hui n’attendent pas le bon cadrage institutionnel, ni l’annonce d’un nouveau plan national de développement ou d’émergence. Ils avancent parce qu’il le faut. Parce que produire est vital. Parce que transformer localement est une évidence. Leur logique est intuitive, mais puissante : faire avec les moyens présents, s’appuyer sur ce qui est maîtrisable, rester lucide sur ce qui est hors de portée.
Ce type d’entreprise ne cherche pas à faire rêver.
Elle cherche à durer. Et c’est souvent ce que les grandes stratégies oublient.
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Une industrialisation
vivante, pas importée
Avec neuf années à la Banque africaine de développement, et plus de cinq ans à développer les activités de Bpifrance sur le continent, une chose devient claire au fil des projets, des pays et des rencontres : les débats sur les modèles d’industrialisation sont souvent déconnectés des réalités de terrain.
« Faut-il faire comme l’Asie ? » « Doit-on relancer la substitution aux importations ? » Ces questions reviennent sans cesse dans les fora et les notes de cadrage. Mais sur le terrain, elles intéressent peu celles et ceux qui produisent.
Ce qui compte, ce sont les conditions réelles de production :
– la stabilité d’un approvisionnement
– la qualité d’un technicien
– l’accès au foncier
– le coût de l’énergie
ou la fiabilité d’un client payant à 60 jours.
Une dynamique industrielle ne se décrète pas, elle se construit dans cette granularité-là. Pas dans les schémas abstraits, mais dans les marges de manœuvre offertes à ceux qui assument, chaque jour, les risques et les arbitrages de la production.
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Ce que les alliances locales
et internationales rendent possible
Certains territoires – à l’image du Maroc, de la Tunisie, de l’Éthiopie, de la Côte d’Ivoire ou du Rwanda – démontrent qu’il est possible de bâtir des écosystèmes productifs cohérents et efficaces, même à petite échelle.
Ces dynamiques reposent sur des synergies locales fortes, combinées à des partenariats internationaux ciblés avec des PME compétitives : capables d’exporter, de transférer des savoir-faire ou de co-construire des chaînes de valeur régionales.
Quelques exemples concrets (toute ressemblance avec un acteur accompagné ou financé par Bpifrance est purement fortuite) :
– Un transformateur agroalimentaire au Sénégal qui travaille en circuit court avec des coopératives agricoles, tout en développant des débouchés vers les marchés européens.
– Une entreprise de matériaux au Kenya qui mutualise sa logistique avec un acteur local, et intègre dans sa chaîne des équipements issus d’un fournisseur français ou turc à forte capacité technique.
– Un centre de formation technique au Ghana qui adapte ses cursus aux besoins d’un tissu d’artisans… mais aussi à ceux d’un partenaire industriel international qui s’y implante.
Une plateforme agro-industrielle au Bénin, appuyée par des fonds publics et privés, qui structure la transformation locale de produits agricoles avec l’appui de partenaires techniques locaux et étrangers.
Rien de spectaculaire. Mais tout est stratégique.
C’est souvent dans ces synergies de proximité que se trouvent les vraies innovations. Pas technologiques – organisationnelles, économiques, humaines. Elles ne font pas la Une des conférences, mais elles tiennent les territoires debout. Et les relient aux marchés régionaux comme internationaux.
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Une exigence forte,
mais féconde
Construire de telles politiques n’est pas simple. Au contraire : cela demande plus d’écoute, plus de temps, plus d’attention au réel. Cela exige de composer avec l’informel, d’accepter l’imperfection, de s’adapter à des écosystèmes hybrides.
Mais cela a un mérite immense : s’inscrire dans la durée. Produire des effets visibles. Transformer le lien entre économie et société.
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En conclusion : produire est
un acte politique, au sens noble
Industrialiser, en Afrique de l’Ouest ou ailleurs, ne se résume pas simplement à « créer de l’emploi » ou à « générer de la valeur ajoutée ». Il s’agit de reprendre la main sur une partie du destin collectif, de construire des marges d’autonomie, de générer davantage de dignité par l’action.
Le développement productif n’a pas besoin d’être spectaculaire pour être structurant. Il a juste besoin d’être écouté, compris, respecté, soutenu.
Pas une énième théorie. Mais, du point de vue des acteurs publics et institutionnels, trois lignes d’attention très concrètes :
– Observer minutieusement ce qui fonctionne déjà, en marge des radars, même à petite échelle.
– Financer plus petit, mais plus patient – directement et indirectement, en s’adaptant aux temporalités de la production réelle.
– Créer des conditions de confiance pour que les alliances – locales comme internationales – puissent se nouer, durer, et monter en puissance.
Avec un mot-clef en boussole : co-industrialisation.
Parce qu’en matière d’industrialisation, les révolutions ne viendront sans doute pas du haut. Mais de ceux, discrets, opiniâtres, qui transforment et produisent.
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CAAP 19 le 10 septembre 2025 / MINES, TOURISME, NUMÉRIQUE… :
LA NOUVELLE DONNE DE L’ESSOR DE LA GUINÉE CONAKRY
Riche de la plus importante réserve mondiale de bauxite, indispensable à la fabrication de l’aluminium, la Guinée Conakry a résilié en mai dernier quelque 120 contrats d’exploitation minière, au motif que les entreprises concernées ne respectaient pas le Code minier. Quels seront les impératifs de la nouvelle donne qui régira le secteur minier guinéen ?
Tel est le focus de notre XIXe Conférence des Ambassadeurs de Paris (CAAP 19), dédiée à la Guinée Conakry, le mercredi 10 septembre prochain.
D’autres secteurs d’avenir, comme le numérique et le tourisme, seront également explorés.
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dédiée au thème :
« MINES, TOURISME, NUMÉRIQUE… :
LA NOUVELLE DONNE DE L’ESSOR DE LA GUINÉE CONAKRY »
MERCREDI 10 SEPTEMBRE 2025,
de 17 h 00 (accueil dès 16 h 15) à 19 h 00,
puis cocktail VIP de réseautage dans un lieu parisien à préciser .
(en cours d’élaboration)
> Son Excellence Senkoun SYLLA, Ambassadeur de GUINÉE à Paris, a déjà confirmé sa participation, ainsi que
> M. Patrick SEVAISTRE, Professeur à SciencesPo Executive, CCEF, Expert Afrique centrale du CIAN.
> D’autres personnalités éminentes, françaises et guinéennes, sont attendues. Nous vous en informerons à mesure de l’enrichissement du panel.

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