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Jean-Louis GUIGOU : « Après le Sommet Union africaine-Union européenne de février 2022 : comment transformer l’essai ? »

15 mars 2022
Jean-Louis GUIGOU : « Après le Sommet Union africaine-Union européenne de février 2022 : comment transformer l'essai ? »
Nous sommes souvent critiques quand il s’agit de juger l’action de l’Union européenne tant il y a un écart entre les aspirations des Européens convaincus et les réalisations trop pusillanimes de la commission. Or ce VIe Sommet UE-UA n’est pas comme les autres. De réelles avancées ont été réalisées sur la vision, sur la forme et les propositions, même si quelques oublis subsistent.

Une contribution de Jean-Louis GUIGOU

1 - Le narratif est devenu sobre, réaliste et prospectif

Pour la première fois, la vision est là : « Deux Unions, une vision commune ». Les objectifs restent centrés sur la sécurité, mais au moins la philosophie partenariale est-elle affirmée : « Un partenariat renouvelé pour la solidarité, la sécurité, la paix, les liens humains, le respect de la souveraineté, la responsabilité et le respect mutuels, les valeurs partagées ».

Les moyens sont significatifs et surtout, partir des besoins des Africains, c’est nouveau  : « Le paquet investissement (150 milliards d’euros) encouragera les investissements durables à grande échelle avec le soutien des initiatives de l’équipe Europe, en tenant dûment compte des priorités et des besoins des pays africains ».

Affirmer l’intégration économique des deux continents est également nouveau : « Nous œuvrerons progressivement à l’intégration graduelle et mutuellement avantageuse de nos marchés continentaux respectifs ». À long terme, c’est la constitution d’une grande région verticale Sud-Nord qui est proposée. Voilà enfin une vision géopolitique d’avenir capable de concurrencer les routes de la Soie chinoises.

Pourquoi ne pas aller plus loin dans le narratif ?

Cette grande région progresse à bas bruit, mais il faudrait accélérer car elle valorise la proximité, la complémentarité et la solidarité. Il faudrait mieux faire connaître les deux autres régions verticales concurrentes déjà constituées : celle associant les deux continents américains, et la grande région d’Asie orientale qui inclut le Japon, la Chine, la Corée du Sud, les pays du Sud-Est Asiatique (ASEAN), l’Australie et la Nouvelle Zélande. Son accord régional de libre-échange, le plus grand du monde, vient d’entrer en vigueur (Regional Comprehensive Economic Partnership Agreement), rappelons-le régulièrement, afin de mieux faire comprendre la nécessité de l’intégration régionale euro-africaine.

Pourquoi ne pas insister sur la dimension productive de ce partenariat, au-delà du simple commerce ?

Nous devons mieux mettre en avant la coproduction Nord-Sud au travers des chaînes de valeur euro-africaines, au lieu de nous satisfaire de la rente traditionnelle que les Européens tirent de l’Afrique ; mettre en œuvre à l’échelle de cette grande région des relocalisations stratégiques ; mieux défendre ensemble une souveraineté économique partagée.

Par exemple, L’Europe pourrait acheter préférentiellement tous ses produits équatoriaux et tropicaux à l’Afrique et, réciproquement, les pays africains achèteraient à l’Europe les céréales et protéines des zones tempérées.

Suivons le Président Macky Sall qui, dans un entretien le 26 novembre dernier, défendait l’intégration de notre région commune : « Cette vision verticale de l’intégration économique me permet d’affirmer que les Européens sont des partenaires naturels de l’Afrique, alors que les Chinois et les Américains sont des partenaires occasionnels. »

2 - La forme est innovante, avec des tables rondes thématiques en introduction

Ce Sommet a remplacé les discours convenus par des tables rondes thématiques à la fois pragmatiques et ambitieuses : « Des discussions fructueuses ont eu lieu, pendant le Sommet, lors des tables rondes consacrées aux thèmes suivants : financement d’une croissance durable et inclusive ; changement climatique et transition énergétique, numérique et transport (connectivité et infrastructures) ; paix, sécurité et gouvernance ; soutien au secteur privé et intégration économique ; éducation, culture et formation professionnelle, migration et mobilité ; agriculture et développement durable ; systèmes de santé et production de vaccins ».

Bonne idée, à approfondir : ces tables rondes thématiques devraient être préparées plus longtemps à l’avance par la mobilisation des meilleurs scientifiques et experts africains, méditerranéens et européens, qui travailleraient dans la durée et qui rapporteraient aux décideurs lors des grands Sommets.

3 - Le fond est là : des actions identifiées et richement dotées.

Le domaine de la santé donne un bel exemple de solidarité, mais aussi d’efficacité économique au travers d’une coproduction de biens sanitaires : « L’équipe Europe mobilisera 425 millions pour accélérer le rythme de la vaccination et, en coordination avec le CDC Afrique, pour soutenir la distribution efficace de doses et la formation des équipes (…). Nous soutenons un programme commun pour la fabrication des vaccins, de médicaments, de dispositifs de diagnostics, de traitements et de produit de santé en Afrique, y compris des investissements dans les capacités de production, des transferts volontaires de technologies ».

Les montants des subventions, des prêts et des investissements sont conséquents : « Réaliser l’ambition mondiale de réunir au total au moins 100 milliards de dollars d’aide en matière de liquidités pour les pays qui en ont le plus besoin, dont une grande partie devrait être destinée à l’Afrique » (…)

« Nous annonçons un paquet d’investissements Afrique-Europe d’au moins 150 milliards d’euros au service de notre ambition commune pour 2030 (…) en tenant dûment compte des priorités et des besoins des pays africains, y compris :

(i). Des investissements dans l’énergie, les transports et les infrastructures numériques. ; (ii) Une transition énergétique juste et équitable ; (iii) La transition écologique ; (iv) La transformation numérique ; (v) La croissance durable et la création d’emplois décents ». (…)
Nous utiliserons tous les moyens de mise en œuvre, y compris l’aide publique au développement ; pour encourager l’entreprenariat africain à prendre part à des économies fortes et dynamiques ».

Allons plus loin : insistons sur la nécessaire industrialisation par transformation sur place des matières premières africaines. Promouvons l’établissement de 100 Zones Économiques Spéciales par an pendant dix ans, car les facteurs de production sont trop faibles ou mal répartis, d’où le besoin de construire des ZES sécurisées, inclusives, durables, au travers d’un schéma d’aménagement productif du territoire où les entreprises y trouveront ce dont elles auront besoin : main d’œuvre formée, sécurité électrique, Internet, logistique, etc. Ces ZES d’une nouvelle génération démontreront que l’Afrique peut, en collaboration avec l’Europe, être le continent du XXIe siècle.

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Reste la faiblesse majeure de ce VIe Sommet, évoquée dans la dernière phrase du communiqué : « Le suivi sera assuré régulièrement par l’intermédiaire des structures UE-UA existantes, y compris le comité ministériel de suivi »…

Avec un tel schéma, l’administration de la Commission serait à la fois génératrice de nouveautés et évaluatrice des résultats ! Nous pensons à l’inverse que le suivi doit être assuré par un outil indépendant, paritaire entre Nord et Sud, travaillant dans la durée, associant des entreprises, des scientifiques, des acteurs publics et de la société civile. La fondation « Verticale Africa-Med-Europa (AME) », dont les présidents d’honneur sont Jean-Claude Juncker et Issoufou Mahamadou, pourrait jouer ce rôle.

Comme le disaient les jeunes Algériens du mouvement Hirak : « Le temps perdu ne se rattrape pas. Voilà pourquoi il faut arrêter de perdre du temps ». Dans les deux autres grandes régions verticales Nord-Sud existent des fondations internationales autonomes, qui contribuent au renforcement de l’intégration régionale intercontinentale Nord-Sud. Cessons de perdre du temps en nous privant des outils indépendants indispensables à l’intégration de notre grande région commune.

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