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#AmbitionAfrica - Cédric A. MBENG MEZUI : « Pour réduire la pauvreté en Afrique, il s’agit d’activer le crédit domestique et créer un écosystème vertueux »

2 novembre 2019
#AmbitionAfrica - Cédric A. MBENG MEZUI : « Pour réduire la pauvreté en Afrique, il s'agit d'activer le crédit domestique et créer un écosystème vertueux »
Comment financer les immenses besoins de toutes sortes auxquels l’Afrique doit faire face pour satisfaire une population qui va doubler en une génération ? Explorant l’expérience tant des pays industrialisés qu’en développement, Achille MBENG MEZUI plaide pour la construction d’une épargne domestique formelle suffisante pour financer le développement économique, et l’établissement d’un écosystème vertueux. Revue de détail des pré-requis.

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Une tribune libre de Cédric Achille MBENG MEZUI
Expert des systèmes financiers -Membre fondateur du cercle de réflexion FinanceAfrika (www.financeafrika.net)
Auteur de quatre livres, dont « Financer l’Afrique » (2017) et « Libérer le potentiel de l’Afrique » (2019)

Titre original de la contribution :
« ACTIVER LE CRÉDIT DOMESTIQUE »

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Pour ce XXIe siècle, la question centrale pour l’ensemble des pays africains est de libérer leur potentiel pour mettre les forces productives et les énergies créatives au service du Continent.
La population active africaine devrait augmenter de près de 40 % d’ici à 2030. Rien que pour l’Afrique subsaharienne, le FMI estime les besoins à 18 millions de nouveaux emplois par an, ce qui correspond à environ 450 millions d’emplois en 25 ans.

Les expériences des pays développés et émergents confirment que l’efficacité des systèmes financiers joue un rôle central dans la construction d’une économie compétitive. Si l’on regarde le crédit domestique au secteur privé en pourcentage du PIB, il apparaît qu’il est passé de 18 % en moyenne en 2000 à 28 % en 2016 pour les pays africains. Mais les disparités sont fortes entre les pays.
Il y a six pays pour lesquels cet indicateur est au-dessus de 40 %, notamment le Cap Vert, l’Île Maurice, le Maroc, la Namibie, l’Afrique du Sud et la Tunisie. Or cet indicateur est le plus corrélé à la croissance économique et à la réduction de la pauvreté. Il traduit la disposition des banques à allouer l’épargne d’une économie aux fins de production de biens et services.
Si on se réfère à la base des données de la Banque Mondiale (2016), le volume des crédits accordés alors à l’économie en pourcentage du PIB était de 242 % aux Etats-Unis, 177% en Afrique du Sud, 215% en Chine, etc.

Il existe des contraintes structurelles au développement du crédit domestique en Afrique. On pourrait citer la part importante qu’occupe l’économie informelle. Une des conséquences de cette situation est la prépondérance de l’utilisation du cash dans les transactions économiques et des faibles taux de bancarisation.

Selon le rapport de McKinsey publié en février 2018, cinq pays (Égypte, Angola, Nigeria, Afrique du Sud et Maroc) représentent à eux seuls 68 % du pool des revenus bancaires en Afrique. On y apprend que le nombre d’Africains bancarisés est passé de 170 millions en 2012 à 300 millions en 2017, avec une projection de 450 millions en 2022. L’Égypte et l’Afrique du Sud sont considérés comme les marchés les plus matures avec un plus grand nombre de branches bancaires – 17 branches pour 100 mille adultes contre une moyenne de 5 pour le reste de l’Afrique.

Créer un environnement de confiance

La réalité est qu’il n’y a pas de structure miracle de système pour financer une économie. Ce qui compte est de construire une épargne domestique formelle suffisante qui sert à financer l’économie réelle. L’État doit jouer un rôle central dans ce processus. C’est pourquoi il est utile de rappeler qu’organiser le financement d’une économie consiste à créer un environnement de confiance entre les différentes parties prenantes en fluidifiant la circulation de l’épargne.

Les gouvernements et le secteur privé devraient bâtir des plans cohérents de construction d’une épargne formelle dans chaque pays. Pour cela, des produits d’épargne répondant aux besoins des acteurs économiques devraient être promus. Cela concerne les banques, les assurances, la micro assurance ; les tontines ; les caisses de dépôts ; les banques de développement spécialisées ; les fonds souverains ; la microfinance ; l’industrie de la gestion d’actifs ; les caisses de retraites ; etc.

Des gisements d’épargne à valoriser

Si l’on considère les estimations de PWC Asset Management (2016) et de Venture Capital (2015) sur le total des actifs des fonds de pensions, des compagnies d’assurance et des fonds souverains en 2012, ils étaient respectivement de 300, 200 et 170 milliards d’USD en Afrique. Les projections pour 2020 donnent respectivement 1 100, 445 et 300 milliards d’USD. Mais, sans réformes profondes des économies nationales, le gisement d’épargne reste nettement sous-exploité.

Si l’on regarde un pays comme le Nigeria, il y a environ 7 500 milliards de Naira d’actifs dans les fonds de pensions, environ 45 milliards de Naira sont collectés chaque mois, pour moins de 10 millions de contributeurs sur une population de près de 180 millions d’individus. Quant au marché de l’assurance, il reste sous-développé en Afrique, il représente environ 1,2 % (soit environ 60 milliards d’USD) des primes d’assurance collectées dans le monde.

Les panélistes de la conférence dédiée au financement des entreprises africaines : Cellou Dalein DIALLO, ancien Premier ministre de Guinée, Président de l’UFDG ; Laurent GOUTARD, Responsable Afrique, Bassin Méditerranéen et Outre-mer, SOCIÉTÉ GÉNÉRALE ; Pedro NOVO, Directeur Exécutif en charge de l’Export, BPIFRANCE ; Djalal KHIMDJEE, Directeur général délégué, PROPARCO ; Cédric Achille MBENG MEZUI, Expert des systèmes financiers & Fonctionnaire international. © DR

Selon les chiffres définitifs de 2016, l’Afrique du Sud arrive en tête avec un taux de pénétration de 14,27 %, un volume de primes de l’ordre de 41 milliards d’USD occupant le 19e rang mondial. Elle est suivie par le Maroc, l’Égypte et le Kenya.
Le Maroc a un taux de pénétration de 3,48%, un volume de primes de 3,5 milliards d’USD et est 49e mondial. L’Egypte est 57e mondial avec 2 milliards d’USD de primes et un taux de pénétration de 0,64 %. Le Kenya est 59e mondial avec un taux de pénétration de 2,8% et un volume de primes d’environ 1,9 milliard d’USD. Toutefois, certains pays se distinguent par un taux de pénétration plus élevé malgré leur taille, la Namibie (6,87 %) et l’Ile Maurice (6,4 %), respectivement 84e et 86e mondial. À titre de comparaison, le total des primes d’assurances collectées en Chine était d’environ 580 milliards d’USD en 2017.

L’utilisation des solutions basées sur l’intelligence artificielle devrait aider à stimuler la pénétration des produits d’assurance ainsi que les réformes structurelles identifiées dans les différents pays. Ce secteur représente un gisement stratégique d’épargne pour le continent. Si on compare à l’Amérique latine, on constate que les réformes faites dans les caisses de retraites, durant les années 1990, ont permis un essor considérable de l’épargne locale. C’est plus de 700 milliards d’USD pour les 7 premiers pays que sont le Brésil, le Chili, la Colombie, le Mexique, le Panama, le Pérou et l’Uruguay.

Différentes projections de court terme voient ces capitaux atteindre 900 milliards d’USD dans les prochaines années. Les données 2015 et 2016 donnent 251 milliards d’USD, soit 14 % du PIB pour le Brésil ; 172 milliards soit 73 % du PIB pour le Chili ; 52 milliards d’USD soit 23% du PIB pour la Colombie ; 154 milliards d’USD soit 15% du PIB pour le Mexique et 36 milliards d’USD soit 20% du PIB pour le Pérou.

Atout démographique et rôle
central des banques publiques

La structure démographique du continent devrait également amplifier la mobilisation de l’épargne domestique. En effet, avec un âge médian d’environ 19 ans, c’est une opportunité pour les institutions financières comme les banques, les fonds de pension, les compagnies d’assurance, etc., d’accumuler l’épargne domestique pendant plusieurs décennies sans avoir la pression des paiements/remboursements que l’on observe dans des économies matures qui ont une population vieillissante. C’est un réservoir immense de capitaux longs pour soutenir l’investissement.

Il y a lieu de donner un rôle majeur au crédit bancaire public. En effet, les banques commerciales financent rarement les projets de long terme, pas seulement en Afrique. D’abord parce qu’elles n’ont pas souvent des capitaux longs correspondant aux horizons des besoins, mais aussi parce qu’elles sont prudentes à soutenir de nouvelles activités ou des nouvelles entreprises.
Un autre aspect fondamental est qu’elles manquent souvent de l’expertise nécessaire pour comprendre certains secteurs ainsi que pour gérer les risques sur des périodes plus longues. C’est ici qu’interviennent les banques publiques comme le montrent les expériences des pays industrialisés. Il ressort qu’il n’y a pas de modèle unique de banques nationales de développement ou banques nationales d’investissement.

Encourager l’établissement de « champions bancaires »

Certains principes généraux devraient garantir leur efficacité. D’abord, ces banques n’ont pas pour vocation de financer tous les projets et/ou tous les secteurs. Leur champ de compétence doit être clairement spécifié. Ensuite, une priorité devrait être accordée aux projets ou secteurs dont les investissements pourraient apporter des devises à l’ensemble de l’économie.
Il faudrait donc encourager l’établissement de « champions bancaires » qui favorisent les flux financiers régionaux, le financement du commerce, l’accumulation des compétences et l’innovation.

Cibler les PME pourvoyeuses d’emploi

Il est aussi indispensable de mieux orienter la cible d’intervention. Les données montrent que les PME ne représentent pas moins de 90 % des entreprises du continent et créent près de 60 % des emplois du secteur formel. Il apparaît que le paysage des entreprises africaines est dominé par les petites entreprises, avec trop peu d’entreprises de taille moyenne et de grande taille.

Or, les grandes entreprises sont plus productives et rémunèrent davantage, mais elles sont peu nombreuses. De plus, les salaires sont deux fois plus élevés dans les grandes entreprises manufacturières que dans les grandes entreprises de services, et 37 % plus élevés dans les petites entreprises manufacturières que dans les petites entreprises de services.
En d’autres termes, promouvoir le développement des entreprises aux fins de réduction de la pauvreté en Afrique, c’est encourager prioritairement l’industrie manufacturière et les grandes entreprises.

C’est ici où le concept d’économie circulaire à trois entités d’Ernst & Young trouve toute sa place « The Power of the Three ». Il s’agit de créer un écosystème vertueux permettant la collaboration entre les PME, les grands groupes et les pouvoirs publics.

Selon EY, les capacités d’innovation et la souplesse des PME permettraient aux grands groupes d’optimiser leur offre et favoriseraient aussi l’efficience de leur organisation. Dans le même temps, en travaillant mieux avec les entreprises et en favorisant les investissements de ces dernières, les pouvoirs publics contribuent à dynamiser leur croissance et leur participation dans les activités de la communauté.

Pour l’Afrique, il s’agit de promouvoir des « champions » dans le secteur industriel et d’y inclure un processus d’apprentissage et de transferts de connaissances avec les Universités/Écoles spécialisées. Il s’agit de créer un écosystème qui multiplie les interactions entre les quatre parties suivantes : grands groupes « champions » dans les manufactures – un réseau de PME – les pouvoirs publics – le système académique.

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