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#AmbitionAfrica - Hervé Schricke, Président du Club Afrique de France Invest : « Le capital-investissement a un rôle décisif à jouer en Afrique »

29 octobre 2019
#AmbitionAfrica - Hervé Schricke, Président du Club Afrique de France Invest : « Le capital-investissement a un rôle décisif à jouer en Afrique »
À la veille du grand Forum Ambition Africa qui se tient les 30 et 31 octobre à Paris-Bercy, et où le Club Afrique de France Invest animera pendant toute l’après-midi du mercredi 30 sa première conférence de Place dédiée au capital-investissement en Afrique, Invest for Growth in Africa, son président Hervé Schricke nous a accordé cette entrevue exclusive. Il explique ici comment le capital-investissement est un mode de financement adapté pour les start-up, les PME et les ETI d’Afrique, alors même que le système financier reste encore peu développé sur le Continent.

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Propos recueillis par Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris (AP.P)
@alfredmignot | @PresseAfrica

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Commençons par le début… voulez-vous bien nous présenter la genèse et l’objectif du Club Afrique de France Invest ?

Hervé Schricke –  France Invest est l’association représentant les opérateurs du capital-investissement français. Presque toutes les sociétés de gestion qui pratiquent ce métier en sont membres. Cela représente 2018 près de 15 milliards d’euros de capitaux investis en equity dans plus de 2 200 entreprises, et 18,7 milliards de levées auprès d’investisseurs institutionnels. France Invest couvre l’ensemble du capital-investissement, c’est-à-dire l’investissement dans des sociétés non cotées, mais aussi la dette privée qui est une classe d’actifs qui se développe, et le financement de l’infrastructure dans le monde. Pour ces trois classes d’actifs le montant de levée a atteint 36 milliards d’euros en 2018, soit 46 % de plus en un an.

Le Club Afrique Invest a été créé en 2015, en réponse aux sollicitations de nombreux membres de France Invest, désireux de s’informer sur le potentiel de l’Afrique et sur la manière d’aborder cet immense continent de 54 pays et leurs différentes législations.

Ainsi l’objectif du Club Afrique est de sensibiliser et de motiver les investisseurs français – dont les investisseurs institutionnels – pour allouer des capitaux à cette classe d’actifs, c’est-à-dire aux entreprises africaines actives sur un continent en plein développement, qui a besoin non seulement de capitaux mais aussi d’expertise. Mais cela concerne aussi les entreprises françaises ou européennes des portefeuilles de nos membres qui se développent en Afrique. Car le métier du capital-investissement en lui-même consiste à apporter l’expertise des gérants, une option stratégique nourrie par une vision très large de ce qui se passe sur les marchés et une gouvernance structurée permettant aux entreprises de se développer de façon saine.

Vous investissez pareillement dans les infrastructures et les entreprises ?

Hervé Schricke –  Nos membres investissent essentiellement dans les entreprises. Le cœur de notre métier est l’entrepreneur et son entreprise. Les infrastructures viennent en complément.

Dans le programme de votre conférence du 30 octobre à Ambition Africa, il est question de « présenter le potentiel de développement du continent ». Pourriez-vous préciser ?

Hervé Schricke – La conférence que nous organisons ce mercredi 30 octobre dans le cadre du grand forum Ambition Africa se situe dans la droite ligne de notre mission : mettre en relation les acteurs de l’écosystème du capital-investissement franco-africain – et plus largement euro-africain – de manière à aider nos collègues à bénéficier de nos presque quarante ans d’expérience en tant qu’association spécialiste de cette activité, et contribuer à mieux faire comprendre le continent à nos membres, afin de les inciter à y apporter des capitaux à des entrepreneurs qui créent des emplois, des richesses locales et du bien-être. C’est un facteur essentiel d’impact du capital-investissement en Afrique.

Vous aurez remarqué que l’ouverture de la conférence sera assurée conjointement – j’insiste sur ce terme « conjointement », car je crois que c’est une originalité – par le ministre français de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire, et par Tony Elumelu, philanthrope nigérian très connu et homme d’affaires fortuné, président de United Bank for Africa et fondateur de The Tony Elumelu Foundation. Il a alloué 100 millions de dollars au soutien d’entreprises, PME, start-up nigérianes qu’il accompagne en conseil stratégique et en capital. Cette personne est l’une des mieux qualifiées pour exprimer ce qui est possible en Afrique, ce qui peut y être fait, et les besoins du continent.

Notre intention est de montrer comment s’intéresser à ce continent en donnant des exemples d’investissements de la part d’acteurs institutionnels et d’entreprises privées, comme les gérants de fonds. Dans les deux cas, nous expliquons la raison de leur engagement en Afrique.

Des exemples d’entreprises impliquées ?

Hervé Schricke – Des acteurs publics français, comme Proparco et Bpifrance, seront présents à la première table ronde pour expliquer leur démarche. Ces entreprises ont notamment contribué à la création d’un fonds franco-africain géré par AfricInvest, qui permet d’accompagner des fonds français dont une partie de l’activité est tournée vers l’Afrique.

Damien Braud, Directeur capital-investissement Afrique Moyen-Orient de Proparco, participera à la première table ronde, animée par Isabelle Bébéar, Directrice des affaires internationales et européennes de Bpifrance. Charles-Denis Kouassi, directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale de Côte d’Ivoire (CNPS), Cathia Lawson-Hall, Responsable de la couverture et de la banque d’investissement pour l’Afrique, Société Générale, Hany Assad, fondateur d’Avanz, qui investissent dans des fonds en Afrique, seront également présents, ainsi que Khady Koné-Dicoh, Directrice d’investissement, Amethis, qui témoignera de l’activité d’un fonds avec le support de ses investisseurs.


On assiste actuellement à un débat sur le cocktail « idéal » d’investissement, selon la proportion de fonds internationaux et locaux. Votre avis ?

Hervé Schricke – Personnellement, je ne crois pas à la durabilité des flux de capitaux étrangers qui ne seraient pas accompagnés par une montée en puissance des capitaux d’origine locale. Le continent africain doit mobiliser son épargne afin de l’investir dans des entreprises ayant vocation à créer des emplois formels, à être rentables, à conquérir des marchés.

Votre plaidoyer pour un financement endogène suppose une certaine maturité des acteurs, tant professionnels qu’institutionnels et citoyens. Comment appréciez-vous « l’état de l’art » en la matière ?

Hervé Schricke – Tout dépend de la façon dont l’épargne est collectée. Dans les pays anglo-saxons, il existe une culture de fonds de pension : l’argent épargné pour les retraites est investi en partie dans l’économie, via des fonds, ou directement dans les entreprises.
L’Afrique du Sud bénéficie de l’écosystème le plus structuré du capital-investissement africain. Mais cela commence à se développer ailleurs, par exemple au Kenya.

Comment portez-vous votre plaidoyer ?

Hervé Schricke – Nous avons édité il y a trois ans un livre blanc sur le capital-investissement africain et lors de notre conférence à Ambition Africa, le 30 octobre, nous en présenterons la suite, actualisée et enrichie. C’est un guide pratique d’environ 150 pages, qui se veut un éclairage sur la manière de se financer par fonds propres. On y trouvera aussi une analyse approfondie des questions de fiscalité.
Ce guide témoigne également de notre engagement en Afrique. Mais n’en parlons pas plus avant aujourd’hui, car nous voulons en réserver la primeur aux participants de notre conférence de Place, “Invest for Growth in Africa”.

Comment réagissez-vous, en tant que professionnel de l’investissement, face à la dégradation subite de la stabilité de certains pays, comme on a pu l’observer récemment ?

Hervé Schricke – Nous sommes par nature des gens très calmes, avec une vision de long terme. Nous savons que personne ne maîtrise totalement toutes les clefs de compréhension de notre monde. C’est particulièrement le cas en Afrique, avec ses 54 pays aux problématiques et cycles différents, selon que leur économie est très liée aux matières premières, ou pas.
Et c’est notre métier de prendre des risques… mais le plus possible maîtrisés, de les gérer, de les diversifier et d’aider les membres de notre association à y parvenir.

Hervé SCHRICKE dans les locaux parisiens de France Invest. © AM/AP.P

Estimez-vous que ces dernières années l’accueil fait en Afrique aux investissements s’est bonifié ?

Hervé Schricke –  Oui, cela s’améliore progressivement. Dans différents pays, l’investissement est désormais facilité par les évolutions réglementaires, et la possibilité de transférer des capitaux, une fois une opération de liquidité réalisée, a été rendue possible.
Par exemple, l’île Maurice joue un rôle important parce que sa réglementation est assez favorable, avec une base de gestion administrative comptable maintenant très connue. Le Maroc a aussi adopté une législation moderne et a créé la Casablanca Finance City (CFC) qui a vocation à accueillir cette gestion, si ce n’est les fonds eux-mêmes.

Certains économistes considèrent que l’Afrique 
est « dramatiquement sous-financée ». Votre avis ?

Hervé Schricke – On se demande toujours dans notre profession si l’on a trop ou pas assez de capitaux. C’est un faux problème, nous n’avons jamais trop de capitaux ! La question est plus de savoir si nous disposons de gens compétents, d’assez expertise pour utiliser cet argent intelligemment. Des erreurs sont faites comme partout, mais globalement notre métier est exercé par des professionnels de l’accompagnement d’entreprises avec une vision de long terme. C’est aussi un thème que nous développons dans le guide.

La nouveauté en la matière, c’est qu’en 2018 près d’1,2 milliard de dollars ont été investis en Afrique dans des start-up et des sociétés innovantes.
Nous en sommes très heureux, car lorsque nous avons créé le Club Afrique et que nous disions que le financement de l’innovation allait se développer en Afrique, d’aucuns nous répondaient que ce n’était pas un continent fait pour le capital-innovation !

Mais non, il ne faut pas regarder seulement dans le rétroviseur. Il se passe maintenant en Afrique ce qui s’est produit dans les pays développés. Il n’y a rien de différent… Il faut cesser de surévaluer les pesanteurs des caractéristiques locales et historiques en sous-évaluant du même coup le potentiel d’évolution.
Il n’y a aucune raison pour que l’Afrique n’ait pas ses start-up performantes, ses licornes. Il est normal que les produits du monde dit « développé » ne soient pas forcément adaptés à l’usage de pays aux cultures et niveaux de vie différents. Il y a aujourd’hui un potentiel et une énergie assez extraordinaires sur le Continent. Il ne faut pas oublier que les populations sont jeunes et qu’elles ont envie de vivre dans le monde de demain. Quand on se contente de projeter le monde d’hier, on n’a pas la vision pertinente de l’avenir.

Vos investisseurs sont-ils attentifs aux questions d’impact, RSE et autres ESG – les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ?

Hervé Schricke –  Qu’est-ce que l’impact ? C’est le financement d’entreprises – on ne connaît en fait que le financement d’entreprises, car même quand on parle d’infrastructures, c’est qu’on finance l’entreprise qui porte le projet d’infrastructure. Et quand nous finançons de l’impact, que cherche-t-on ? Nous donnons une valeur déterminante au retour pas toujours facile à mesurer sur ce que l’investissement apporte à l’environnement de l’entreprise – à l’échelle du pays, d’une région, des emplois créés, de la constitution et du respect d’un certain nombre de règles, de la santé des populations, de l’économie locale ou régionale, d’une filière.

L’équilibre entre la rentabilité financière et la rentabilité d’impact est différent selon que le fonds se positionne sur l’impact ou non. Les investisseurs qui opèrent dans ce type de fonds le font parce qu’ils considèrent qu’il relève aussi de leur responsabilité d’accompagner ce genre d’activité – qui encore une fois vise « quand même » et d’abord une rentabilité. On n’est pas dans le don, ni la subvention.

Où en est le capital-investissement en Afrique ?

Hervé Schricke –  Le capital investissement africain évolue comme dans les pays développés : les années sont plus ou moins fastes en termes de levées de capitaux et d’investissements… Aujourd’hui, il fluctue entre 2 et 4 milliards de dollars par an, mais les statistiques ne sont peut-être pas exhaustives… à comparer par exemple aux 15 milliards de la France seule.

Le capital-investissement africain reste donc encore quelque chose de modeste, en cours de construction. Nous avons vécu ce processus en France, pendant les trente dernières années, après les États-Unis et l’Allemagne…

En fait, ayant suffisamment bourlingué dans pas mal de pays au long de ma carrière, je ne vois pas de différence fondamentale entre l’Afrique et les autres pays. Simplement, notre métier de capital-investisseur est complexe et nécessite la maîtrise de certaines expertises. Elles s’acquièrent progressivement, mais on peut essayer d’accélérer le processus de leur acquisition. Promouvoir la formation professionnelle dans ce secteur est aussi l’un des objectifs du Club Afrique de France Invest. D’ailleurs nous sommes un organisme agréé de formation.

De nombreux dirigeants africains se plaignent d’une surévaluation du risque qui pénalise du Continent ? Qu’en pensez-vous ?

Hervé Schricke – Un sujet sur lequel les investisseurs sont très sensibles aujourd’hui est celui de la corruption et du comportement éthique des gens. Dans notre profession, il se trouve que France Invest a été l’association de niveau mondial en avance sur tout ce qui est ESG, reporting, comment en rendre compte, etc…Le Club Afrique a lui-même publié un cahier compliance et lutte anti-corruption.

Nous sommes très sensibles à la lutte contre le blanchiment et le risque de mauvaise utilisation de l’argent. Nous intervenons donc très fortement dans la gouvernance des entreprises. Et n’oublions pas que nous finançons le secteur privé !… Mais l’entreprise sera-t-elle réceptive à l’évolution attendue de sa gouvernance ? Nous devons nous en assurer avant d’investir et c’est pourquoi cela peut prendre un certain temps. Mais lorsque cela aboutit, nous contribuons du même coup à l’amélioration de l’environnement entrepreneurial.

Cela dit, oui, la perception du risque africain me paraît exagérée. Car le risque est perçu de façon trop parcellaire. Des événements politiques déstabilisateurs y contribuent. Il n’est pas question de pointer du doigt un pays ou un autre au moment où s’y produisent des troubles. Mais avec un choix potentiel sur 54 pays, un investisseur professionnel ne mettra pas tous ses œufs dans le même panier. Bien sûr !

Vous vous êtes beaucoup mobilisé pour l’événement Ambition Africa, avec une conférence qui durera tout l’après-midi du mercredi 30 octobre. Quel est votre objectif ?

Hervé Schricke – Notre engagement vise à soutenir la position de Paris en tant que place financière. Nous défendons un métier important à l’échelle de l’économie de notre pays et nous voulons aussi en faire profiter nos partenaires africains.

Dans cet esprit, nous sommes partenaires de l’Association africaine du capital investissement (AVCA), basée à Londres, et dont la directrice générale Michelle Kathryn Essomé interviendra à notre conférence après Bruno Le Maire et Tony Elumelu. Les associations de Côte d’Ivoire, du Nigeria, d’Afrique du Sud, d’Afrique de l’Est, d’Égypte, du Maroc et de Tunisie sont également partenaires. Nous aurons donc une illustration forte de nos liens professionnels avec les opérateurs africains.

Quelle est votre vision de l’avenir de notre relation avec l’Afrique ?

Hervé Schricke –  Je crois au potentiel de l’Afrique et à la nécessité d’une relation de partenariat économique fort entre les acteurs africains et européens. C’est notre intérêt car dans une génération, le continent représentera 25 % de la population mondiale.

Les autorités françaises se tournent actuellement vers un soutien au secteur privé africain, Proparco et l’AFD travaillent sur des schémas de limitation des risques en prenant en charge les premières pertes de certains fonds, ce qui permet d’améliorer la performance. Cette nouvelle donne ravit les membres du Club Afrique, car c’est justement ce que nous appelions de nos vœux.

Notez qu’il s’agit en réalité de s’inspirer de ce qui a été fait aussi bien en France qu’aux États-Unis – dont on se complait souvent à dire qu’ils sont un pays ultra libéral… mais où d’importants avantages fiscaux ou de couverture de risques ont pourtant été accordés à un certain nombre de fonds pour les encourager à financer les nouvelles technologies. 

Je plaide donc pour que l’on fasse de même en Afrique. En s’adaptant bien sûr aux réalités locales, qui sont connues : moins d’épargne, des épargnants moins préparés à investir dans ce genre de véhicules, la nécessité de réduire le risque et le coût de l’investissement. Le capital-investissement a un rôle décisif à jouer en Afrique, il peut contribuer à construire une réponse face aux contraintes économiques qui pèsent aujourd’hui encore lourdement sur le Continent.

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LIENS UTILES

- Site AMBITION AFRICA 2019

 Site de France Invest

 Site du Club Afrique de France Invest

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