Amadou Oury BAH, Premier ministre : « La Guinée assume de manière décomplexée sa souveraineté »
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Propos recueillis par notre envoyé spécial à Conakry,
Bruno FANUCCHI pour AfricaPresse.Paris (APP)
@africa_presse
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AfricaPresse.Paris (APP) – Quel message vouliez-vous délivrer lors de la cérémonie d’ouverture du XIIIe FIED (Forum International des Femmes Entreprenantes et Dynamiques) puisque votre allocution a été malencontreusement coupée au bout de trois minutes par un regrettable problème technique ?
Amadou Oury BAH – C’était d’abord pour les encourager et se féliciter de l’existence de cette dynamique de mutualisation des énergies de toutes ces femmes venues de différents pays pour la promotion de l’implication de la femme dans le secteur économique.
Et pour rappeler à tous une réalité : ce sont les femmes qui constituent les véritables forces économiques dans la plupart des pays d’Afrique, même si leur apport et leur présence ne sont pas suffisamment valorisés. Elles sont dans le secteur informel, dans le secteur agricole, dans le secteur du maraîchage, dans le petit commerce. Elles sont un peu partout et constituent vraiment le socle sur lequel les sociétés sont en train d’essayer de subvenir aux besoins essentiels de la population.
APP – Le changement en Guinée doit donc se faire aussi par les femmes ?
Amadou Oury BAH – Bien sûr. L’implication accrue des femmes dans la vie économique est un gage de prospérité et de solidarité pour transformer notre pays. Car l’État paraît aujourd’hui un peu déphasé par rapport à cette dynamique de la société.
Il nous faut trouver des mécanismes pour la formalisation des activités féminines pour que le secteur informel, qui contribue pour plus de deux tiers au PIB, puisse être intégré progressivement dans l’économie formelle pour nous permettre d’avoir d’abord de vrais chiffres. Puis des mécanismes opérationnels pour que ces femmes et ces entreprises dirigées par des femmes puissent être accompagnées par un secteur bancaire pouvant prendre en compte cette nouvelle donne.
C’est cela qui, avec le temps, permettra de faire émerger une génération de femmes entrepreneures qui pourront être vraiment en capacité de se développer, d’exporter et de devenir peut-être de grandes femmes pouvant briller au-delà de nos frontières. La Guinée en connaît déjà, bien sûr, mais je trouve que ce n’est pas encore suffisant...
APP – Que peuvent-elles faire de plus ?
Amadou Oury BAH – Vous connaissez les femmes bamilékés au Cameroun, elles sont réputées, comme les Mamy Benz à Lomé. Les femmes ont cette capacité organisationnelle qu’il faut valoriser, au travers de micro-associations susceptibles d’être utilisées de manière beaucoup plus efficace dans le système économique. Car cela représente une certaine mobilisation d’épargne utilisée en général pour satisfaire des besoins essentiels (maladie, décès, baptême et autres festivités familiales). Or, il faut aller au-delà...
C’est cette architecture qu’il faudra progressivement utiliser pour permettre à ces femmes de se rendre compte qu’elles ont les moyens d’avoir le financement pour aller au-delà de la satisfaction de ces besoins primaires, que ce soit vraiment des investissements ou la création de revenus. Si l’on parvient à faire ce saut qualitatif, on aura vraiment une nouvelle génération de classes moyennes actives, productives, où les femmes seront peut-être majoritaires par rapport aux hommes. Il faut en quelque sorte passer à l’échelle.
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« Les Guinéennes ont un grand rôle
à jouer dans la transformation du pays »
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APP – Pour revenir au FIED, que faut-il retenir de ce grand événement que votre ministre de la Promotion féminine, de l’Enfance et des Personnes vulnérables, Mme Charlotte Daffé, a réussi à faire venir à Conakry pour sa XIIIe édition ?
Amadou Oury BAH – Cette réussite permet aux Guinéennes actives dans ce secteur économique de se dire : on est valorisées et on nous prend en compte. Elles vont ainsi découvrir qu’il y a des modèles de jeunes femmes dynamiques qui ont réussi à l’étranger à un niveau relativement élevé, comme au Cameroun ou en Côte d’Ivoire. Pour que nos compatriotes puissent se dire à leur tour : on peut nous aussi rêver !
On peut progresser, on n’est pas condamnées à subir ou à être toujours dans des métiers subalternes, mais on peut réussir dans le secteur des investissements et de l’entrepreneuriat. C’est un monde nouveau qui s’ouvre à elles. Et j’estime que cela peut être une grande chance pour la Guinée et cette nouvelle génération de femmes.
APP – Les femmes de Guinée ont donc un rôle de plus en plus grand à jouer dans la transformation sociale et économique du pays ?
Amadou Oury BAH – C’est bien réel. Elles sont en capacité de mettre en place une gouvernance beaucoup plus fiable, vertueuse et efficace. Je sais qu’elles sont plus fidèles et qu’elles ont cette capacité de respect des engagements qu’elles peuvent prendre, surtout quand elles sont dans le cadre de leur collectivité. Et cela, psychologiquement et moralement, ce sont des opportunités qui peuvent convaincre d’autres investisseurs de venir en Guinée, en se disant que c’est avec cette catégorie de femmes qu’ils peuvent faire des affaires en ayant l’assurance que cela sera bien géré.
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APP – Quelles sont vos priorités à la tête du gouvernement pour assurer votre mission visant à remettre la Guinée sur le droit chemin en cette période de « transition » politique ?
Amadou Oury BAH – Nous sommes en effet en transition, mais cette transition politique cache aussi une autre transition beaucoup plus profonde : une réelle volonté de transformation du pays et une demande sociologique ressentie par les populations qui veulent que le pays soit mieux géré et mieux organisé, que l’on ait plus d’emplois et plus d’opportunités, qu’il y ait de nouveaux métiers.
Nous sommes en train de poser les bases nous permettant d’offrir quelque chose de concret, pas seulement des discours, mais des actes, permettant à cette nouvelle génération de femmes et de jeunes de se dire : l’espoir est permis car il y a des opportunités concrètes qui s’offrent à nous.
Car ce pays est dans un élan de développement économique et il faut y croire. C’est pourquoi le chef de l’État, le général Mamadi Doumbouya, parle de « refondation » de la Guinée.
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« L’objectif essentiel,
ce sont les intérêts du pays »
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APP – À l’inverse d’autre pays d’Afrique de l’Ouest, ayant aussi connu aussi des putschs militaires, la Guinée garde d’excellentes relations avec la France et ne s’est pas lancée dans une campagne anti-française comme le Mali, le Burkina Faso ou le Niger... N’est-ce pas la preuve que la Guinée a trouvé sa voie et montre l’exemple en voulant entretenir de bonnes relations avec tous les pays qui comptent à ses yeux ?
Amadou Oury BAH – Notre histoire est tragique et tourmentée. Mais la transition actuelle, dès le début, était l’expression d’une volonté de tirer les leçons du passé pour changer positivement. Et cela nous amène, en tant que Guinéens, à assumer de manière décomplexée notre souveraineté, en nous disant que l’objectif essentiel, ce sont les intérêts du pays : le développement économique, une meilleure gouvernance, la recherche de la stabilité, une coopération avec les pays qui comptent – chacun là où il est le plus performant – sans exclusive.
C’est comme cela que nous coopérons avec beaucoup de confiance avec les pays européens, dont la France, mais aussi avec la Chine avec laquelle nous entretenons des relations économiques importantes. Je rentre de Riyad, où nous avons affiché notre volonté d’avoir un partenariat stratégique avec l’Arabie Saoudite, et je serai la semaine prochaine en Éthiopie pour finaliser avec l’ONUDI (Organisation des Nations unies pour le Développement industriel) un nouveau cadre en s’inspirant du modèle éthiopien.
Comme avec les pays de l’Asie du Sud-Est, nous souhaitons coopérer de manière ouverte avec chacun là où il est le plus performant. Car notre philosophie fondamentale en matière coopération internationale, c’est de toujours nous rappeler que nous sommes responsables de notre propre destin.
APP – Est-ce à dire que « l’Afrique de Papa, c’est terminé », comme avait lancé le Président Doumbouya devant l’Assemblée générale de l’ONU l’an dernier ?
Amadou Oury BAH – C’est clair. On change d’époque, on change de paradigmes et de perspectives. Même si ce n’est pas facile, car tout le monde ne prend pas en compte ce processus très profond de changement, mais les gens finiront par se rendre compte qu’un nouveau cap se dessine pour la Guinée et rejaillira je l’espère sur les autres pays africains pour qu’il y ait plus de stabilité et de cohésion entre nous.
Il y a un processus sociologique majeur. Il faut être en phase avec son temps. L’Afrique des années des indépendances, avec tout ce que les sociétés, les situations étatiques, les institutions ont vécu - surtout par rapport à la Guinée - nous amène aujourd’hui à nous projeter dans une nouvelle dimension.
Le cycle des indépendances des années soixante change pour un autre cycle que nous voulons co-construire avec un partenariat diversifié et décomplexé pour la recherche du développement économique et du bonheur de nos compatriotes.
De ce point de vue, la Guinée pourrait être – comme par le passé – un pays pionnier par rapport aux autres pays du Continent.
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« Avec Simandou, notre pays deviendra
la locomotive de l’Afrique de l’Ouest »
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APP – Et le projet phare « Simandou 2040 » en est peut-être la première pierre. Quels sont ses objectifs ?
Amadou Oury BAH – Ce projet est une opportunité exceptionnelle pour la Guinée. Plusieurs générations en ont rêvé avec l’exploitation des mines de fer de Simandou. Et maintenant, ces rêves sont en train de se réaliser avec la construction d’un chemin de fer de plus de 620 km, des mines, un nouveau port et un corridor qui traverse tout le pays et donc, avec Simandou, l’écosystème changera dans tous les domaines.
Notre volonté à l’heure actuelle, c’est d’éviter la fatalité des pays miniers avec des enclaves qui n’ont pas d’interaction profonde avec la transformation de la société et de l’économie des pays qui sont concernés par ces exploitations minières. D’où notre approche globale permettant d’avoir et de développer une économie diversifiée qui ne soit pas exclusivement dans le domaine minier.
Cette nouvelle politique et l’existence de ce corridor vont permettre aux biens et aux services de circuler librement, de nouvelles agglomérations vont émerger. Cela va également stimuler la production agricole car, auparavant, il n’y avait pas suffisamment d’infrastructures pour livrer et écouler en temps utile les denrées périssables.
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APP – L’échéance de 2040 pour l’achèvement du projet Simandou ne vous paraît-elle pas cependant bien lointaine ?
Amadou Oury BAH – Cela paraît loin, mais c’est déjà là. Je vous donne un exemple : à la suite de l’explosion du grand dépôt d’hydrocarbure de Conakry en décembre dernier, qui fut une catastrophe majeure pour l’économie du pays avec de nombreuses victimes, il a pris feu et l’économie s’est arrêtée. Mais – grâce à Dieu – avec des alternatives et des solutions palliatives, les estimations de croissance économique pour 2024 sont à 6,1 % du PIB, contrairement à 2023 où on était à 4 %.
Il y a donc eu un phénomène exceptionnel bien réel, qui n’a pas encore pris en compte les données que nous apporteront en plus les différents volets du projet Simandou, dont la mise en œuvre commence. C’est pourquoi les Guinéens doivent avoir confiance en l’avenir. J’ai la volonté de faire en sorte que ce pays qui aurait pu être, dès les années 1960, la locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest, le devienne effectivement et cela est en train de se réaliser progressivement.
APP – La « nécessité des infrastructures » était d’ailleurs le thème du FIED, qui vient de se dérouler à Conakry du 28 au 20 octobre dernier au Palais du Peuple...
Amadou Oury BAH – Ce fut un thème bien choisi car on a encore, bien entendu, des insuffisances sur le plan des infrastructures comme sur le plan de la gouvernance. Mais la volonté politique d’y remédier existe et l’accompagnement international – bien que timide à un certain moment – est en train de prendre de l’élan depuis le début de l’année parce que la Guinée redonne confiance à l’extérieur et aux investisseurs.
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