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A. Cabras : « La France, qui préside seule l’UPM, pourrait proposer une intégration à plusieurs vitesses »

Tous pays EUROMED-AFRIQUE | 23 février 2011 | src.LeJMED.fr
A. Cabras : « La France, qui préside seule l'UPM, pourrait proposer une intégration à plusieurs vitesses »
Aix-en-Provence -

Dans cette nouvelle Tribune libre, Alain Cabras, Maître de Conférences en « Management interculturel » à l’Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III, estime qu’à la suite des bouleversements politiques à l’œuvre dans le sud méditerranéen, « Il est encore temps de réformer les projets et la gouvernance de l’Union pour la Méditerranée, et de rendre obligatoire aux côtés des États, la place et le rôle actif des sociétés civiles organisées. (…) La France doit saisir l’opportunité de présider seule l’Union pour la Méditerranée tant décriée, pendant le G20, pour proposer une intégration originale en Méditerranée, à plusieurs vitesses, avec qui accepteront cette nouvelle donne et mettre ainsi en route une nouvelle Union. »

Photo ci-dessus : Alain Cabras © DR


Tribune Libre

Titre original

Le retour d’Antigone : une chance pour l’Euroméditerranée

par Alain CABRAS
Maître de Conférences en « Management interculturel »
à l’Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III


On attendait le retour des barbus et c’est Antigone qui est venue.
En juin 2009, en assassinant Néda, à Téhéran, les miliciens des Mollahs, donnèrent à la figure tragique de Sophocle un nouveau visage. Le besoin d’expression d’individualité s’opposant à la toute puissance des lois imposées par des tyrans, devint plus fort que tout. En décembre dernier, ce visage fut celui de Mohammed Bouazizi, en Tunisie.

Dès lors, fut engagée la lutte à mort pour la dignité et le respect de vivre sa vie dans un État de droit, où chacun peut s’exprimer librement. En ce sens, ces révolutions sont un camouflet pour l’islamisme qui n’a pas su construire un projet de société appétant, avec sa part de rêve pour ici et maintenant loin de tout dogme.

Cela n’exclura pas les tentatives des partis politiques religieux pour faire gagner leur vision du monde, certes, mais ces jeunesses ne renonceront plus au rapport incessant qui s’organise entre l’individu et la société. En effet, les Sociétés arabes ne sont ni muettes ni autistes et leur soudaine expression est tout sauf une « divine surprise ». Elles sont le fruit de « forces profondes » qui confirment bien qu’un corps social, à l’image d’un corps humain, a l’âge de ses artères et que cette transition « démocratique » est liée à la transition démographique si bien décrite dans l’ouvrage de Youssef Courbage et Emmanuel Todd (« Le rendez-vous des civilisations », Ed. Le Seuil, 2009).

Bref, nous découvrons à l’ère de la communication que les sociétés « parlent » ! C’est pourquoi, il est urgent que l’Europe leur répondre.

Une union pour la Méditerranée à repenser/repanser

Pour ce faire, les Européens doivent sortir de leur amnésie et plonger honnêtement dans leurs héritages méditerranéens. Le pari du travail de l’anamnèse comme l’écrivait le grand méditerranéen Bruno Étienne. Car, les peuples arabes, en arrachant des mains des dictateurs leur conscience politique authentique, nous invitent à retrouver la nôtre. Nous aurions très bien pu le faire en 2005 autour du referendum pour une « Constitution européenne » en interrogeant nos racines éminemment chrétiennes, mais aussi tellement grecques, juives, latines, arabes et musulmanes. Au lieu de cela, la porte fut fermée à la figure du débat et c’est par la fenêtre, la même année, qu’il revint violemment avec l’affaire des caricatures de Mahomet.

Or aujourd’hui, que nous le voulions ou non, l’Europe est la seule à pouvoir entendre et accompagner l’appel d’Antigone : celui de la fondation de la société civile méditerranéenne indispensable pour ancrer le pluralisme en Méditerranée.
Certes, les États-Unis, essaient d’« organiser le changement », en brisant au passage l’image d’une diplomatie cynique du complot militaro-industriel.

L’administration Obama fait aussi le pari que le soutien aux démocraties sera moins couteux que celui apporté aux dictatures pour améliorer leur économie et assurer leur sécurité et celle de leur allié Israël. Cela n’enlève rien, par ailleurs, à la conviction de son Président d’épouser le sens de l’histoire, rêvé depuis la thèse de Fukuyama en 1991, mais tout ceci reste au niveau stratosphérique des États.

L’Union européenne seule, par une diplomatie proche des peuples, peut aider ces mouvements et pas seulement par la politique des subventions et des prêts promis par Madame Ashton. Il est temps pour l’Europe d’accompagner l’accouchement des sociétés civiles en Méditerranée, de leur permettre d’être pleinement impliquées dans les politiques de renforcement de nos liens.

Il est encore temps de réformer les projets et la gouvernance de l’Union pour la Méditerranée, et de rendre obligatoire aux côtés des États, la place et le rôle actif des sociétés civiles organisées, veilleuses sur leurs territoires des politiques garantes du développement économique et culturel visant à réduire définitivement l’écart insupportable entre les rives du Bassin.

La France doit saisir l’opportunité de présider seule l’Union pour la Méditerranée tant décriée, pendant le G20, pour proposer une intégration originale en Méditerranée, à plusieurs vitesses, avec qui accepteront cette nouvelle donne et mettre ainsi en route une nouvelle Union.

C’est à cette condition que les sociétés méditerranéennes seront entendues et des valeurs centrales de cohésion de la « méditerranéité » apparaitront, à savoir, non plus les tentatives lasses de domination d’une civilisation sur une autre mais leurs mises en accord. C’est à cela que nous invitent tous nos héritages et toutes ces jeunesses révoltées au visage d’Antigone.

Alain CABRAS
Maître de Conférences en « Management interculturel »
à l’Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III


Du même auteur :

  L’incompréhensible silence de l’UPM, qui ne doit pas devenir une “grande muette”


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