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Abshir ADEN FERRO, au Forum de Dakar : « La corruption ruine l’économie d’une Somalie abandonnée par la communauté internationale »

8 décembre 2021
Abshir ADEN FERRO, au Forum de Dakar : « La corruption ruine l'économie d'une Somalie abandonnée par la communauté internationale »
Entrepreneur somalien établi à Londres, Abshir Aden Ferro est candidat déclaré à l’élection présidentielle de son pays, sans cesse repoussée. Invité au Forum de Dakar, où il a eu des rencontres au plus haut niveau, il explique dans cet entretien exclusif pourquoi il a fait de la lutte contre la corruption en Somalie son cheval de bataille.

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Propos recueillis à Dakar par Bruno FANUCCHI
pour AfricaPresse.Paris (APP) @africa_presse

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APP – La Somalie est aujourd’hui classée comme la nation « la plus corrompue » de la planète, selon le dernier rapport publié par l’ONG « Transparency International ». N’est-ce pas très inquiétant ?

Abshir ADEN FERRO – Ce n’est pour moi pas une surprise. Je ne cesse de le dire et de le répéter depuis de longs mois, si ce n’est depuis plusieurs années, en ayant parfois l’impression de prêcher dans le désert. Si j’en crois ce rapport, les chiffres parlent d’eux-mêmes puisque l’indice de corruption est passé de 10 points en 2016 sous le règne du président Hassan Sheikh Mohamud, à 12 points en 2020, et que la situation s’est sans cesse aggravée depuis que son successeur Mohamed Abdullahi Mohamed, dit Farmaajo, est aux affaires.

Cela explique aussi peut-être pourquoi l’actuel Président s’accroche au pouvoir et repousse sans cesse un scrutin présidentiel initialement prévu le 8 février dernier. Ne nous mentons pas, voilà une réalité qui fait froid dans le dos. D’autant plus que les Shebabs, qui contrôlent déjà une grande partie du pays, ne sont pas que des terroristes, mais aussi – si je puis dire – des « hommes d’affaires avisés » qui profitent et surfent sur toutes les faiblesses de l’État.

APP – La corruption comme les Shebabs ruinent ainsi l’économie du pays ?

Abshir ADEN FERRO – Cette stratégie ruine en effet l’économie du pays. Selon la Banque africaine de Développement (BAD), les exportations de la Somalie ont ainsi chuté de 632 millions de dollars en 2016 à 133 millions de dollars seulement en 2020. Le PIB est passé, quant à lui, de 3,7 en 2016 à 1,5 en 2020. L’extrême pauvreté, qui touchait 59 % de la population en 2016, a ainsi progressé à 63 % en 2021 et nombre de Somaliens vivent aujourd’hui avec moins d’un dollar par jour !

Après plusieurs années d’une mauvaise gouvernance, à laquelle tous se sont habitués et sur laquelle les Occidentaux – pourtant prompts parfois à donner des leçons de morale – ferment les yeux, on peut dire que la Somalie est devenue le royaume de la corruption. C’est donc un facteur très inquiétant et déstabilisateur pour toute la Corne de l’Afrique.

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« Ce livre autobiographique,
c’est une première
dans la Corne de l’Afrique »

À Paris, Abshir Aden Ferro présentant en septembre 2020 son ouvrage « Ma vie pour la Somalie », préfacé par le Sénateur Jean-Marie Bockel. © F. Reglain

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APP – Dans « Ma vie pour la Somalie » (*), votre livre qui résume votre parcours et votre programme économique, vous faites de la lutte contre la corruption votre cheval de bataille. Pourquoi ce combat vous tient-il tant à cœur ?

Abshir ADEN FERRO – Parce qu’il conditionne tous les autres. Fort de ce que je vois tous les jours, de l’expérience que j’ai vécue personnellement et de la souffrance quotidienne de mon peuple, ce combat me semble plus que prioritaire : je veux être le « Monsieur Propre » de la Somalie. Cela fait des années que des sommes importantes sont allouées à la Somalie par l’Union européenne, par exemple, ou d’autres institutions internationales et personne ne sait où passe tout cet argent ! C’est pourquoi, je dis : basta ! Assez !

S’ils veulent sincèrement aider mon pays à renaître, les bailleurs de fonds doivent respecter leurs engagements à l’égard de la Somalie. J’ai quant à moi fait mon devoir quand j’ai découvert et dénoncé des transactions qui n’étaient pas normales et plus que louches avec l’Union européenne. Cela fait plus de cinq ans que je me bats en justice pour défendre l’honneur de mon pays et faire valoir mes droits. C’est aussi une des raisons de mon engagement politique.

APP – Et les Occidentaux, dites-vous, ferment les yeux ?

Abshir ADEN FERRO – C’est exact. Les pays occidentaux connaissent parfaitement cet engrenage, mais ils ferment les yeux et ne disent rien. Nombre d’investisseurs connaissent également les mécanismes de ce système corrompu et corrupteur, mais cela visiblement en arrange certains car tout s’achète et se vend en Somalie. Et les bureaux de certains ministres sont en quelque sort devenus leurs « magasins ».

Il faut mettre un terme définitif à ces pratiques. L’Afrique est un continent riche de ressources et de potentialités, mais doit se respecter elle-même et nous autres Africains devons retrouver notre fierté du travail bien fait et honnêtement.

APP – Avant même d’imaginer une relance économique dans votre pays ruiné par la guerre civile, ne faut-il pas y rétablir un minimum d’État de droit ?

Abshir ADEN FERRO – Vous avez parfaitement raison, mais tout est lié : l’État de droit, le rétablissement de la sécurité et de la confiance vont de pair pour relancer la machine économique, remettre les gens au travail et faire revenir les investisseurs pour assurer le développement du pays sur des bases saines.

Pour mettre fin à la corruption, qui alimente le terrorisme et en fait le lit, il faut tout d’abord reconstruire toutes les bases du droit dans notre pays, qui ne dispose même pas d’une Cour suprême pour trancher les litiges et arbitrer entre les différents gouvernements régionaux et le gouvernement fédéral à Mogadiscio. Tous font actuellement ce qu’ils veulent !

APP – L’instauration de la Zleca (Zone de libre-échange continentale africaine) peut-elle changer la donne dans la Corne de l’Afrique ?

Abshir ADEN FERRO – À terme, je l’espère bien entendu, mais nous n’en sommes pas encore là. Les bruits de bottes en Éthiopie, notre grand voisin, ne vous ont pas échappé... Il faut d’abord stabiliser toute la Corne de l’Afrique. D’où ma participation au Forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique, où je suis officiellement invité pour la première fois.

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« Au Forum de Dakar, le Président Macky Sall
a eu le courage de sonner le tocsin ! »

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Le Président Macy Sall lors de son allocution d’ouverture du Forum de Dakar 2021 © BF

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APP – Cette année, la VIIe édition du Forum est consacrée aux « enjeux de stabilité et d’émergence de l’Afrique dans un monde post Covid-19 ». Qu’en avez-vous pensé ?

Abshir ADEN FERRO – Initié par le président Macky Sall en décembre 2014, le Forum de Dakar s’est rapidement imposé comme un rendez-vous incontournable de tous les acteurs qui s’intéressent au développement, à la sécurité et à la stabilité du Continent. Mais hélas – trois fois hélas – nous ne sommes pas encore sortis de cette pandémie mondiale dont l’Afrique ne doit pas faire les frais.

Le Forum de Dakar – où était invité le président sud-africain Cyril Ramaphosa – a d’ailleurs clairement souligné qu’il serait scandaleux et contre-productif de vouloir isoler et « punir » l’Afrique du Sud pour la découverte du variant Omicron car nous savons bien que les virus et leurs variants se moquent et se jouent des frontières.

APP – Dans son discours d’ouverture, le président sénégalais Macky Sall a ouvertement évoqué la situation dans votre pays, la Somalie, car elle va s’imposer sur l’agenda international...

Abshir ADEN FERRO – Je l’en remercie chaleureusement et publiquement, car c’est très important. Je dis et répète depuis plusieurs années que la Somalie, qui a connu une trop longue guerre civile, a été en quelque sorte « abandonnée » par la communauté internationale aux yeux de laquelle une crise – hélas – chasse l’autre.

Occupant une place stratégique dans la Corne de l’Afrique, la Somalie est pourtant un pays riche en ressources agricoles, halieutiques et demain peut-être pétrolières, qui pourraient être largement exploitées dès que la sécurité y sera rétablie.
Évoquer le rôle irremplaçable des 21 000 soldats de l’AMISOM (Mission de l’Union africaine en Somalie, créée en 2007) et rendre hommage à leur action pacificatrice n’est donc pas innocent.

Mais n’oublions pas que la première richesse de la Somalie, ce sont ses ressources humaines, les Somaliens eux-mêmes. Et c’est ce peuple que je veux défendre en rendant hommage à son extraordinaire résilience. C’est pour lui que je me bats.

APP – Qu’attendez-vous du Président Macky Sall, qui va prendre au mois de janvier la présidence de l’Union africaine ?

Abshir ADEN FERRO – Le leadership du Président Macky Sall est reconnu et respecté dans toute l’Afrique. Je le dis donc franchement : je suis prêt à le soutenir dans toutes ses démarches positives pour faire avancer l’Afrique qui a plus besoin que jamais d’une véritable relance économique pour faire face aux conséquences dramatiques de la pandémie qui – a-t-il lui-même souligné en séance – a porté dans nos pays « un coup drastique à la croissance » comme aux investissements venus de l’étranger. Au Forum de Dakar, le Président Macky Sall a eu le courage de sonner le tocsin !

« La sécurité n’a pas de prix, mais elle a un coût », a-t-il encore ajouté et il a parfaitement raison. C’est une évidence de le rappeler : il ne saurait y avoir de développement sans sécurité. Nos pays doivent donc d’abord se donner les moyens de rétablir ou d’assurer la sécurité sur leur territoire, comme à leurs frontières.

À la tête de la société Fort Roche, vous êtes vous-même un spécialiste des questions de sécurité. Quelles sont les recettes de la réussite économique de votre entreprise ?

Abshir ADEN FERRO – Créé à Londres il y a plus de vingt ans, Fort Roche Group – dont l’expertise est reconnue – emploie aujourd’hui plus de 1 800 personnes et ne manque pas de travail. Dans notre métier, il faut savoir anticiper les risques et les dangers pour prendre à temps les bonnes décisions et ne jamais se laisser surprendre.

C’est pourquoi j’ai particulièrement apprécié l’intervention très argumentée du nouveau président nigérien Mohamed Bazoum qui a parfaitement analysé la stratégie des mouvements islamistes s’activant et progressant chaque jour dans les pays du Sahel, comme chez nous. Nous sommes confrontés au même ennemi. En Somalie, nous sommes victimes depuis trop longtemps de l’obscurantisme et de l’extrémisme des Shebabs. Le monde ne peut plus fermer les yeux.

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(*) « Ma vie pour la Somalie » paru dans la collection « Leaders d’Afrique » aux Éditions AfricaPresse.Paris, 208 pages, 18 €

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