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À la veille de la visite du PM français Jean CASTEX : « L’Algérie entend ne pas être considérée comme un simple marché » (Professeur Abderahmane Mebtoul)

3 avril 2021
À la veille de la visite du PM français Jean CASTEX : « L'Algérie entend ne pas être considérée comme un simple marché » (Professeur Abderahmane Mebtoul)
Avec la proche visite du Premier ministre français Jean Castex en Algérie, la question de la coopération stratégique entre les deux pays redevient d’actualité. L’occasion d’un grand pas, enfin ? L’Algérie, qui ne manque pas de potentiel pour se libérer de l’économie de la rente, veut en tout cas un partenariat sans « esprit de domination ». Analyse.

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Une contribution du Professeur Abderrahmane MEBTOUL,
Économiste, expert international (Algérie)

Malgré des divergences, le travail de mémoire est indispensable pour consolider des relations durables entre l’Algérie et la France, deux partenaires stratégiques. Certes, il fallait s’attendre à ce que le rapport du professeur Benjamin Stora soulève des passions, les cicatrices étant encore vivaces – voir notre contribution à Afrik Economy du 24 mars 2021 : « Reconnaître le fait colonial afin de dépassionner les relations entre l’Algérie et la France » –, mais l’ouverture des archives par le président français Emmanuel Macron est un pas positif.

Cependant, tout en évitant d’instrumentaliser l’histoire pour des intérêts étroits, n’ayant de leçons de patriotisme à recevoir de personne, étant issu d’une grande famille de révolutionnaires, feu mon père ayant été emprisonné entre 1958/1962 à El Harrach et Lambèse, il s’agit aujourd’hui – comme je l’ai souligné il y a quelques années (2014) lors d’une conférence, au Sénat français, à l’invitation de mon ami Jean-Pierre Chevènement, ancien président de l’association Algérie-France et grand ami de l’Algérie – de dépassionner les relations afin de favoriser la stabilité des deux rives de la Méditerranée, et de préparer ensemble notre avenir à l’horizon 2025/2030, où l’on devrait assister à une profonde reconfiguration géostratégique de la région, ce qui nous impose d’entreprendre ensemble.

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La France et l’Europe, premiers
partenaires de l’Algérie…

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En effet, malgré une baisse sensible des relations commerciales, surtout avec l’épidémie du coronavirus qui a ralenti les échanges, l’Europe, via la France, reste un partenaire clef pour l’Algérie, comme en témoigne la structure du commerce extérieur du pays pour 2019 et les 11 premiers mois de 2020.

En 2019, la France était le 1er client de l’Algérie (14 % du total), devant l’Italie (13 %) et l’Espagne (11 %). La Chine était en 2019 le 1er fournisseur de l’Algérie (avec une part de marché de 18 %), suivie par la France (10 %) et l’Italie (8 %).

Pour 2020, sur la liste des pays fournisseurs de l’Algérie, la France occupe la première place parmi les pays de l’UE avec 10 %, suivie de l’Italie (7 %), de l’Allemagne (6,5 %) et de l’Espagne (6,2 %) contre 17 % pour la Chine. En matière d’exportations, l’Italie est le premier client de l’Algérie avec un taux de 14,5 % suivie de la France (13,7 %) et l’Espagne (10 %) contre 9 % pour la Turquie et 5 % pour la Chine.

Pour les 11 premiers mois de 2020, selon les statistiques douanières, la Chine est premier fournisseur avec 16,91 %, suivie de la France 10,72 % (3,36 milliards de dollars), l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne avec respectivement 7,03 %, 6,27 % et 6,23%. Concernant les clients, nous avons l’Italie avec 14,50 %, la France 13,68 % (2,94 milliards de dollars), l’Espagne 9,10 %, la Turquie 8,81 % et la Chine 5,14 %.

Par zone géographique, l’Europe demeure le premier partenaire avec 51,50 % suivi de l’Asie et l’Océanie 33, 17 %.

Avec l’Afrique, les échanges sont dérisoires : les importations représentent 2,76 % pour l’Afrique septentrionale, 0,48 % pour l’Afrique subsaharienne et pour les exportations 7,61 % pour l’Afrique septentrionale et 0,80 % pour l’Afrique subsaharienne.

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…mais les échanges restent
loin d’un optimum possible

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Face à ces données du commerce extérieur, il faut reconnaître que les relations économiques entre l’Algérie et la France, malgré des discours de bonnes intentions, sont loin des attentes entre les deux pays, se limitant essentiellement aux hydrocarbures pour la partie algérienne, les services notamment bancaires, l’agroalimentaire, les produits pharmaceutiques et les produits issus de l’industrie automobile pour la partie française, alors que les potentialités sont énormes.

Il y a effectivement des aspects politiques qui freinent ces échanges. Certes les échanges commerciaux sont appréciables mais ils demeurent figés dans leurs structures, dérisoires comparés aux exportations et importations des deux pays. La France dans bon nombre d’affaires en Algérie est devancée par l’Italie et la Chine qui prennent des parts de marché de plus en plus importantes.
Mais les relations ne se limitent pas aux aspects économiques.

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L’Algérie, un acteur-clé
de la région

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Sur le plan géostratégique, pour la France, l’Algérie est un acteur déterminant de la stabilité régionale et de l’approvisionnement en énergie de l’Europe. Dans plusieurs rapports entre 2018/2020, les autorités françaises ont tenu à souligner qu’avec les tensions au niveau de la région qui influent par ricochet, sur la France via l’Europe, les autorités algériennes contribuent à la stabilisation de son voisinage immédiat, notamment au Sahel, et que l’Algérie demeure un acteur-clé au niveau régional.
L’effort continu, de modernisation des équipements, ainsi que les nombreux effectifs de sécurité dont l’Algérie dispose, ont permis au pays de contrer de façon efficace les menaces terroristes, notamment avec les crises libyenne et malienne, et la situation dans la région du Sahel.

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La règle des 49/51 %
en voie d’être levée

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Dans le domaine économique, tous les pays, tout en respectant les accords internationaux, protègent une partie de leur production nationale grâce à l’État stratège et régulateur en économie de marché, pouvant détenir des minorités de blocage dans des segments stratégiques, à ne pas confondre avec le retour à l’État gestionnaire de l’ex-économie soviétique, comme le montrent les décisions récentes de bon nombre de pays développés et émergents, avec l’impact de l’épidémie du coronavirus.

Dans ce cadre, l’Algérie entend lever les obstacles à la règle des 49/51 % qui bloque l’attrait de l’investissement étranger ainsi que la lutte contre la bureaucratie et la corruption qui freinent l’attrait de l’investissement, tant local qu’étranger.

Sur le plan énergétique, au travers du GNL et des canalisations Medgaz et Transmed, l’Algérie est un acteur stratégique pour l’approvisionnement en énergie tant de la France que de l’Europe (voir sur ce sujet nos interviews à l’American Herald Tribune du 28 décembre 2016, et différentes contributions sur le site AfricaPresse.paris, et à la télévision américaine Al Hurra, le 10/08/2020 ).

L’essentiel pour l’Algérie est de favoriser une accumulation de savoir-faire managérial et technologique, grâce à un partenariat gagnant-gagnant, l’État pouvant détenir des minorités de blocage pour des segments stratégiques, l’objectif étant une valeur ajoutée interne positive. Et ce afin de mettre fin à la faiblesse du tissu productif en Algérie, l’économie algérienne étant une économie foncièrement rentière : 98 % d’exportations sont issues d’hydrocarbures brut et semi-bruts, et plus de 80 % pour des besoins des entreprises et des ménages sont couverts par les importations.

Mais ne soyons pas utopiques ! Dans la pratique de affaires, il n’y a pas de fraternité, de sentiments et l’Algérie doit privilégier uniquement ses intérêts, comme c’est le cas de la France, car les opérateurs – qu’ils soient arabes, algériens chinois, français ou américains – étant mus par la logique du gain, ils iront là où les contraintes socio-politiques et socio- économiques sont mineures, leur objectif étant de réaliser le profit maximum.

Aussi, il faut être conscient que les nouvelles relations internationales ne se fondent plus essentiellement sur des relations personnalisées entre chefs d’État ou ministres, mais sur des réseaux décentralisés, par l’implication des entreprises et de la société civile qui peuvent favoriser la coopération.

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L’Algérie a le potentiel pour se libérer
de l’économie de rente

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Sous réserve d’une meilleure gouvernance, de la valorisation du savoir – richesse bien plus importante que toutes les réserves d’hydrocarbures – et de la levée des contraintes d’environnement, ainsi qu’avec une plus grande visibilité et cohérence de sa politique socio- économique, et en évitant l’instabilité juridique et monétaire, l’Algérie, a les potentialités pour passer d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures et devenir un pays pivot au sein de l’espace euro-méditerranéen et africain (cf. notre interview à American Herald Tribune, 2018).

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Les atouts de l’Algérie,
riche aussi de sa diaspora

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L’attractivité du marché algérien découle des avantages comparatifs suivants : la proximité géographique des marchés potentiels d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient ; la taille du marché intérieur estimée à plus de 44 millions de consommateurs ; des richesses naturelles importantes ; des ressources humaines ; un endettement extérieur inférieur à 6 milliards de dollars ; des réserves de change – bien qu’en baisse – de 42 milliards de dollars à la fin de 2020 ; une dette extérieure faible inférieure à 6 milliards de dollars…

Aussi, n’oublions pas le nombre de résidents d’origine algérienne dans le monde, et notamment en France. Quel que soit le nombre, la diaspora est un élément essentiel du rapprochement entre l’Algérie et la France, du fait qu’elle recèle d’importantes potentialités intellectuelles, économiques et financières.

La promotion des relations entre l’Algérie et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les universités, les entrepreneurs et la société civile.

Cependant, en cette ère de profondes mutations géostratégiques, économiques, sociales , cultuelles au niveau mondial, avec la consolidation des grands espaces, il est dans l’intérêt de tous les pays du Maghreb d’accélérer l’intégration économique, étant suicidaire de faire cavalier seul, si l’on veut attirer des investisseurs potentiels intéressés non par des micro-espaces, mais par un marché de plus de 100 millions d’habitants.

Dans une contribution parue le 28 avril 2011 à l’ Institut français des Relations Internationales (IFRI) de Paris, France sous le titre « La coopération Europe/ Maghreb », j’avais mis en relief que les échanges intra-maghrébines ne dépassaient pas 3 %, les résultats mitigés du processus de Barcelone, posant l’urgence d’une nouvelle conception des relations internationales.

J’ai soutenu que le format qui me semblait le plus à même d’être opérationnel à moyen terme au niveau de la Méditerranée occidentale est l’espace des 5+5 + Allemagne, afin de réaliser une prospérité partagée conciliant développement et démocratie en tenant compte des anthropologies culturelles et grâce à la société civile (réseaux décentralisés) qui, à côté des États et des institutions internationales, sera le vecteur dynamisant au XXIe siècle.

Dans une autre étude pour l’IFRI en décembre 2013, « Les enjeux géostratégiques de la sphère informelle au Maghreb » j’avais posé l’urgence d’intégrer d’une manière intelligente cette sphère informelle, produit de la bureaucratie centrale et locale qui enfante la corruption, loin des mesures bureaucratiques autoritaires, qui contrôle une part importante de la masse monétaire en circulation et des activités économiques dépassant largement les 50 %, .limitant toute la politique économique des États, encore que servant de tampon social.

En bref, l’intensification de la coopération entre l’Algérie et la France devant tenir compte de l’inévitable transition numérique et énergétique est souhaitable dans l’intérêt bien compris de chacun des deux pays qui doivent avoir une vision commune de leur devenir, et ce afin de contribuer ensemble à la stabilité régionale.

La symbiose des apports de l’Orient et de l’Occident, le dialogue des cultures et la tolérance sont sources d’enrichissement mutuel.
Les derniers événements devraient encore mieux nous faire réfléchir, évitant cette confrontation des religions car – pour ne citer que les grandes religions monothéistes – l’islam, le christianisme que le judaïsme ont contribué fortement à l’épanouissement des civilisations, à cette tolérance en condamnant toute forme d’extrémisme, des populations juives et musulmanes notamment ayant cohabité pendant des siècles.

Il ne s’agit donc nullement d’occulter la mémoire indispensable pour consolider des relations durables entre l’Algérie et la France. Il s’agit, en ce monde impitoyable où toute nation qui n’avance pas recule, de préparer ensemble l’avenir par le respect mutuel.

Pour ma part, j’ai toujours souligné que l’Algérie entend ne pas être considérée sous la vision d’un simple marché et qu’il faille favoriser un partenariat gagnant-gagnant.
Et c’est dans ce cadre que doit rentrer la coopération entre l’Algérie et la France, qui pourrait inclure bien d’autres domaines que l’économique, loin de tout préjugé et esprit de domination.

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