À la CMAAP 13 / Emanuela del Re, Représentante spéciale de l’UE pour le Sahel : « Le maintien de l’engagement fort de l’Union européenne est une opportunité historique extraordinaire pour le Sahel ! »
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par Alfred MIGNOT pour AfricaPresse.Paris (APP)
@africa_presse
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Emanuela del Re, qui fut vice-ministre italienne des Affaires étrangères, est aussi une ancienne députée au parlement italien, et n’a pas manqué de souligner son émotion particulière à prendre la parole à la salle Colbert, l’un des lieux emblématiques de l’Assemblée nationale française : « Je le dis toujours à mes amis africains quand on parle de démocratie : pour moi, être au Parlement, voir la démocratie en action, c’est une grande émotion, quelque chose d’extraordinaire », déclare-t-elle en introduction de son intervention, relevant que la question de la démocratie est à la base de la relation de l’Europe avec les pays africains et particulièrement du Sahel.
Mais, ajoute-t-elle, « Quelle démocratie ? doit-on appliquer exactement le modèle européen ?… Pour ma part je parle toujours d’un modèle contextualisé, car l’on doit aussi comprendre la situation sur le terrain, [considérer] les grandes traditions culturelles et leurs grandes capacités à exprimer des formes de gouvernance, de cohabitation et de cohésion sociale » spécifiques.
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Trouver un langage commun
Trouver un langage commun
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Rappelant que l’Union européenne s’est dotée en avril 2021 d’une Stratégie intégrée au Sahel, fondée sur la gouvernance, principe politique « inspirateur le plus important », Emanuela del Re relève les grandes difficultés rencontrées à sa mise en œuvre, « pas seulement parce qu’il y a beaucoup de problèmes au Sahel même, mais aussi chez nous, car il est difficile de comprendre comment on peut vraiment réaliser ces projets de gouvernance, c’est difficile de trouver un langage que j’ai plusieurs fois décrit comme un langage euro-africain ou afro-européen pour s’entendre sur cette question. » Et encore plus, bien sûr, lorsque l’Europe est confrontée à des « problèmes énormes, comme les coups d’État. »
Une situation qui « ne permet pas d’avoir l’opportunité de capitaliser sur le passé pour construire un avenir », malgré que L’Union européenne est encore le premier partenaire de chaque pays du Sahel et aussi de l’ensemble de la région, ainsi que le premier fournisseur d’aide humanitaire.
Mais sur le plan sécuritaire, « notre présence est devenue vraiment minime, et l’on doit s’interroger sur cela » relève la Représentante spéciale, rapportant que pendant quinze ans, la mission de l’Union européenne pour l’armée malienne a formé plus de 20 000 soldats. « Mais après le second coup d’Etat, avec la prise de pouvoir en mai 2021 du président Goïta et l’arrivée des mercenaires Wagner-Africa Corps, on a tout suspendu et maintenant tout est fini. »
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« Nous ne sommes pas préparés »
« Nous ne sommes pas préparés »
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Comment en est-on arrivé à ce point ? L’Union européenne se trouve devant une situation en continuelle évolution, à laquelle « nous ne sommes pas préparés » considère Emanuela del Re. « Mon mandat est immense et aussi très difficile. Dans mon action politique, j’essaie de recréer des liens forts entre les pays africains et l’Union européenne. Parce que c’est notre avenir. Ainsi j’essaye de maintenir les pays du Sahel orientés vers l’Union européenne et l’Union européenne orientée vers le Sahel. »
Mais comment se construit le processus décisionnel de l’Union européenne ? Pas facile de faire converger les points de vue des 27 pays de l’Union, et pourtant, malgré de grandes perplexités sur les droits humains notamment, cela a été fait en 2023, avec un consensus sur la décision européenne de rester très engagée en soutien à la région. « C’est une opportunité historique extraordinaire pour le Sahel, relève Emanuela del Re. Le Tchad l’a compris. Les autres, surtout les trois pays centraux du Sahel, ont besoin d’être aidés dans ce processus » parce que bien sûr, étant issus de coups d’État, ils ont la préoccupation première existentielle de se maintenir au pouvoir, d’où leur appel aux mercenaires de Wagner-Africa Corps, en fait une garde prétorienne au service des seuls putschistes.
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« La France retrouvera un rôle et
une position très forts au Sahel »
« La France retrouvera un rôle et
une position très forts au Sahel »
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Dans ce contexte, comment l’Union européenne peut-elle se positionner, elle qui reste le premier partenaire du Sahel dans tous les domaines de la coopération au développement, par exemple au Mali, où malgré les difficultés, des projets pour des centaines de millions sont en cours, et « cela démontre qu’il y a une grande volonté » européenne.
Une Europe qui inclut évidemment la France, soutient Emanuela des Re : « Plusieurs leaders africains m’ont parlé de leur volonté de continuer leur relation avec l’Union européenne, mais sans la France. J’ai toujours répondu que c’est impossible, parce que l’Union parle d’une seule voix. Et que c’est impossible pour le Sahel de se détacher complètement de la France, parce que vous avez une culture en commun » et cela constitue la base sur laquelle construire un avenir ensemble.
« Je suis d’ailleurs convaincue que la France retrouvera un rôle et un position très forts au Sahel parce qu’à la fin, c’est le point de référence le plus important dans l’Union européenne. »
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« Obtenir des messages
de non-hostilité »
« Obtenir des messages
de non-hostilité »
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Une fois la question de rester engagée acquise, s’est posée la question du comment faire. La méthode retenue est celle du dialogue. Mais comment dialoguer avec une junte militaire qui revendique un respect radical de sa souveraineté, de sa volonté, de son identité ? Par exemple, « Ils ont abandonné la Cédéao, l’organisation régionale que nous avons choisi de soutenir. Alors, comment réagir à cela ?… J’ai développé une formule que je pense importante. La première chose dans des situations extrêmes sur le plan du dialogue politique, est que l’on doit obtenir des messages de non-hostilité, surtout de la part des pays gouvernés par des juntes militaires.
C’est vraiment important parce que cela nous permet de continuer le dialogue, de le consolider. Et l’on doit aussi faire une différence entre ce que les gouvernants nous disent et ce qui se passe dans le pays même. Par exemple, que l’espace des libertés civiques se réduit, que des partis politiques ont été interdits, pas seulement au Mali, mais aussi au Burkina Faso, et il s’y passe aussi beaucoup d’autres choses très préoccupantes.
Au Mali, qui a exprimé sa gratitude envers l’Union européenne, il y a un processus d’affirmation de la volonté d’être le manager de son propre destin. Ainsi, ils ont préféré maintenir la mission civile européenne d’entraînement de la police, et mettre fin à la mission militaire, ainsi la présence militaire de l’UE au Sahel est pour le moment révolue.
Alors dans ce type de situation, où se trouve l’Union européenne ? Quelle est sa capacité ? Je parle toujours de créer un système d’introspection. Je sais que l’Union africaine va le faire parce qu’elle se trouve devant une situation difficile, vu que plusieurs pays ont décidé de faire des coups d’État pour résoudre les problèmes politiques internes. Et ce n’est pas acceptable.
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La « résilience
européenne »
La « résilience
européenne »
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Mais à la fin, l’Union européenne aussi doit faire un peu d’introspection. Comment va-t-on se réorganiser ? (…) Comment allons-nous manager nos ressources qui, à l’avenir, pourraient diminuer ? Comment partager notre engagement avec les pays du Sahel, de manière à rendre notre présence durable, acceptée, comprise ? »
Face à toutes ces questions, Emanuela del Re s’efforce de faire émerger le concept de « résilience européenne ». « On doit parler de notre résilience parce que l’on se trouve chaque fois devant des changements qui nous choquent, qui nous désorientent. Par exemple, être résilient, c’est être sûr de notre capacité à faire face à des crises complexes – crises qui vont augmenter – et y être préparé. La préparation, pour moi, c’est la chose la plus importante.
Être préparé au changement, c’est le moment de le faire. Nous sommes devant une reconfiguration de la région, l’Alliance entre les trois États du Sahel exprime la nécessité des communautés locales de se réorganiser devant le terrorisme, qui est un défi concret. Le Nigeria, par exemple, a l’ambition de devenir le leader de l’action contre le terrorisme dans la région. Il y a des exercices militaires entre le Tchad, les trois pays de l’Alliance du Sahel et le Togo ». Ce terrorisme du Sahel, relève la Représentante spéciale, est d’aillemers faiblement idéologique et fortement criminel, d’où la difficulté à trouver des « formules de réponses stratégiques qui marchent bien ».
L’Union européenne doit donc être préparée aux changements. « Pour cela, on doit s’appuyer sur les choses qui marchent. Par exemple, comprendre pourquoi la mission civile au Mali est vraiment très opérationnelle, très capable de résoudre les problèmes et coopère très bien avec le Mali.
Si l’on développe cette résilience et cette capacité de coopérer sur un plan vraiment égalitaire et vraiment en partenariat durable, ensemble “on peut le faire” ».
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REPLAY CMAAP 13 / Beau succès de la XIIIe Conférence des Ambassadeurs Africains de Paris, organisée à la Salle Colbert de l’Assemblée nationale
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CLIQUEZ sur l’image ci-dessous POUR VOIR le REPLAY de AFRICACTU n° 5 : SEM Émile NGOY KASONGO, Ambassadeur de la RD Congo : « Ce que nous attendons, c’est la fin du silence de la communauté internationale »
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