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À Marseille, au VIe Emerging Valley/ Birame SOCK, CEO de Kwely (Sénégal) : « Chez nous, la langue française est un atout précieux pour les affaires »

3 décembre 2022
À Marseille, au VIe Emerging Valley/ Birame SOCK, CEO de Kwely (Sénégal) : « Chez nous, la langue française est un atout précieux pour les affaires »
À la tête de Kwely, plateforme numérique sénégalaise de commerce électronique, Birame SOCK est un modèle de réussite comme Emerging Valley sait les dénicher. Rencontre avec une entrepreneure qui – après 26 ans passés aux États-Unis – a déjà un très beau parcours, étant notamment à l’origine de la montée en gamme de Shazam, la fameuse appli musicale.

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De notre envoyé spécial à Marseille,
Bruno FANUCCHI pour AfricaPresse.Paris (APP)
@africa_presse

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AfricaPresse.Paris (APP) – Voulez-vous nous résumer votre impressionnant parcours professionnel ?

Birame SOCK - Je suis née au Sénégal et j’ai grandi dans plusieurs pays d’Afrique avant de partir aux États-Unis pour des études en informatique et communication. Je suis devenue développeur et programmeur. J’ai développé des logiciels et travaillé pour pas mal d’entreprises avant de rejoindre une Setnet, une startup dirigée par un Français et basée à Miami, en Floride. Puis cette entreprise de « Messageries unifiées » pour mobile a déménagé pour aller à San Francisco, en Californie, où j’ai commencé ma carrière en tant qu’entrepreneur.

J’ai développé par erreur une application MP3 qui permettait d’envoyer de la musique à quelqu’un d’autre à travers le téléphone. Je suis aussitôt allée voir mon boss et je lui ai dit : « Ça, c’est l’avenir ! » car c’était bien avant les smartphones ! Avant d’ajouter aussitôt : « Je vais approfondir la question et travailler dessus la nuit et les week-ends, tout en assurant mon job ».

J’ai développé toute seule l’application, j’ai commencé à contacter des prospects et mon premier client fut AT&T, l’un des plus grands opérateurs aux États-Unis. Ce fut une expérience très intéressante et j’ai coutume de dire que j’ai créé et vendu l’entreprise de mon lit ! Avec mon Apple sur les genoux, j’étais vraiment l’ingénieur avec la musique dans les oreilles qui développait du matin jusqu’au soir !

APP - Puis les innovations et succès vont s’enchaîner...

Birame SOCK - J’avais levé juste un peu d’argent auprès de mes proches et de mes voisins. C’était en 2002 et, en 2004, j’ai été la première à lancer un nouveau service de reconnaissance musicale. En partenariat avec une petite entreprise basée en Angleterre qui s’appelait Shazam, qui appartient aujourd’hui à Apple. C’est quand j’ai revendu la boîte en 2007 que Shazam a pu profiter de tout ce que j’avais développé et devenir ce qu’elle est devenue aujourd’hui.

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« Il faut changer la perception
que l’on a du Made in Africa »

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APP - Pourquoi êtes-vous rentrée au pays ?

Birame SOCK - J’ai passé 26 ans aux États-Unis avant de rentrer au Sénégal en 2019 afin de mettre en place mon entreprise. Ce qui m’a permis d’avoir une autre vision à la fois de l’Afrique et de l’entrepreneuriat. Même si je suis Africaine, il fallait que je me remette vraiment en Afrique pour que je puisse bien comprendre le marché et les besoins du Continent.

Le principal, c’est de changer la perception que les gens ont du « Made in Africa ». Et ce n’est pas seulement changer l’image de marque des produits sur lesquels mon entreprise se concentre aujourd’hui comme l’agro-alimentaire et les cosmétiques. Il faut changer toute la perception qu’ils ont de l’Afrique quand ils se disent : comme c’est africain, cela devrait être moins cher et les produits ne sont pas de grande qualité !
Il convient donc de travailler sur tous ces points pour que le grand public finisse par se rendre compte que ces produits africains peuvent être au même niveau que les produits importés ou que l’on trouve à l’extérieur.
Changer cette perception du « Made in Africa », c’est changer aussi la perception que l’on a des entreprises africaines, des entrepreneurs africains et même de l’Afrique. Ce qui veut dire aussi changer la manière dont on lève des fonds et dont on met en place son entreprise. C’est donc un enjeu très important.

APP - C’est-à-dire ?

Birame SOCK - Quand on parle d’entrepreneuriat ou d’innovation en Afrique, on parle d’habitude de quelque chose qui est à une très petite échelle. L’entrepreneur africain de base, il existe depuis très longtemps. Même si aujourd’hui on le met beaucoup en lumière, l’entrepreneuriat en Afrique est une réalité de longue date. Il consiste depuis longtemps à faire ensemble certaines choses pour nourrir sa famille tous les jours. C’était juste pour survivre, mais personne n’avait encore l’idée de lever des fonds ou de créer son entreprise. Aujourd’hui, nous avons pris conscience qu’il faut aller bien au-delà de tout ça, pouvoir vendre ses produits ou ses services au-delà de notre communauté très proche et au-delà bien sûr du pays où l’on est basé, comme moi au Sénégal.

APP - Quelle est précisément l’activité de Kwely ?

Birame SOCK – J’ai commencé à travailler sur le concept en 2019, mais nous l’avons vraiment lancé en avril 2021 à Dakar. C’est une plateforme numérique qui, à l’image d’Alibaba ou d’Amazon, veut créer ce « pont » entre les transformateurs locaux en Afrique et le reste du monde. Comment retrouver les produits africains de l’agro-alimentaire et de la cosmétique sur les étagères des grands magasins et des grands hôtels ? On a donc créé un concours pour identifier les transformateurs locaux et les accompagner pour nous assurer que leurs images de marque, la certification et le packaging suivant les normes internationales.

Kwely se veut une plateforme numérique de commerce électronique. L’idée maîtresse est de pouvoir atteindre un marché beaucoup plus grand que le marché africain. Créer une entreprise qui ne vise pas seulement à mettre en place des « process » et des atouts pour le marché africain, mais que les Européens par exemple puissent apprécier ce qui est créé en Afrique. Il faut donc mieux comprendre le contexte africain pour pourvoir co-créer avec l’Afrique.

Birame SOCK lors de son intervention. À sa droite, Samir Abdelkrim, fondateur de Emerging Valley. © BF

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« Le marché européen est très important
pour l’entrepreneur africain »

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APP - D’où votre présence à cette VIe édition d’Emerging Valley...

Birame SOCK – Ici à Marseille, à Emerging Valley, il est donc important de bien écouter les besoins que l’on a en Afrique : besoins de financements et besoins en qualité de grossistes. Et ne pas seulement se dire que les Africains viennent en Europe pour pouvoir vendre leurs produits, innover ou trouver du financement. Mais aussi que les Européens viennent en Afrique, comprennent vraiment les besoins et le contexte et puissent s’assurer que les programmes, les services ou les ressources mises à disposition pour l’Afrique sont adéquats et vont vraiment permettre cette souveraineté dont on parle.

APP - Comment avez-vous réussi à lever récemment 1 million de dollars ?

Birame SOCK - Cela se passe très bien, mais l’argent se dépense très vite... Nous cherchons maintenant à lever 2 ou 3 millions de dollars supplémentaires pour pouvoir nous agrandir très vite pour développer la plateforme au-delà du Sénégal dans d’autres pays africains et commencer à commercialiser nos produits en Europe et aux États-Unis.

Je pense que le marché européen est très important pour l’entrepreneur africain et surtout pour l’entrepreneur africain francophone. La France est un pilier très important pour les Africains francophones : la barrière de la langue est un point très important pour l’entrepreneur qui vient du Sénégal, du Burkina, du Bénin ou de la Côte d’Ivoire. Mais il faut bien comprendre aussi que, si l’on veut être un entrepreneur efficace aujourd’hui, il faut aller vite, surtout quand on parle de la Tech.

La réalité, c’est que l’on a besoin de créer l’écosystème et de ne pas se concentrer uniquement sur sa startup. Et l’on se rend compte rapidement que la logistique est beaucoup plus simple de l’Afrique vers l’Europe que de l’Afrique vers l’Afrique. Aujourd’hui, il est par exemple beaucoup plus facile d’envoyer un container du port de Dakar à Marseille que de l’envoyer de Dakar au Kenya. Mais tout cela ne pourra se faire que si le marché européen est prêt à apprécier, tester et valoriser les produits ou services qui viennent d’Afrique.

APP - La langue française est donc pour vous un atout ?

Birame SOCK – C’est incontestable. Pour une équipe, qui parfois ne parle que français, il est beaucoup plus facile d’exporter en France d’abord avant d’exporter dans d’autres pays plutôt anglophones et qui ont peut-être des processus bien différents de ceux déjà mis en place dans les pays francophones. La langue française est donc un atout précieux pour les affaires.

Quand on parle des cinq pays des startups les plus avancées en Afrique qui reçoivent la majorité des financements, on parle du Kenya, du Nigeria, de l’Égypte, de l’Afrique du Sud et du Ghana, tous anglophones. Le Sénégal est, en revanche, bien positionné pour devenir le premier pays africain francophone qui serait reconnu au niveau mondial comme étant un hub de startups.

APP - Si vous avez toujours été une pionnière, lever des fonds ne fut pas facile pour autant ?

Birame SOCK – Comme vous le dites ! Mais j’avais un peu d’argent en banque, cela m’a permis de pouvoir continuer ma carrière en tant qu’entrepreneur. J’avais une nouvelle idée qui était le « reçu numérique » et l’on a été encore une fois les premiers en 2007 à lancer un service qui permettait aux consommateurs de recevoir un reçu en ligne par e-mail.
L’expérience fut très différente car, cette fois-ci, je ne pouvais pas le faire toute seule et j’ai donc embauché une équipe et pris des bureaux et – au bout de 2 ans – on a levé 9 millions de dollars auprès de différents investisseurs.

Étant alors à San Francisco, j’avais essayé de lever des fonds, mais les gens n’y croyaient pas ou, plus exactement, ne croyaient pas en moi ! Car la première chose qu’ils me demandaient toujours était : « Où est votre CEO ? Où est votre responsable chargé de la technologie ? » Ils étaient toujours à la recherche d’un CEO qui serait de préférence Blanc et plus âgé que moi et me le disaient directement, en ajoutant : « Cela te permettra de lever des fonds ». Visiblement j’étais trop différente de ce qu’ils avaient l’habitude de voir pour traiter affaire. Je m’efforçai donc d’être la plus créative possible.

Ma seconde startup fut une autre expérience assez positive car j’ai vu grandir l’équipe et faire de la mise à l’échelle jusqu’au moment où l’on a décidé de faire un partenariat avec une entreprise basée à Chicago et qui était intéressée par la partie B2B et « analyse de données » que l’on faisait. On a commencé par une « joint venture » et ils ont fini par racheter l’entreprise en 2013.

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« En 2019, certains signes m’ont prouvé
qu’il y avait des choses à faire au Sénégal »

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APP - Revenons sur les difficultés rencontrées, et surmontées, à votre retour au Sénégal...

Birame SOCK – Je suis rentrée au Sénégal en 2019, juste avant la Covid. J’étais en vacances à Dakar, sans aucun plan préconçu, quand je me suis dis : comment se fait-il qu’une entreprise comme Alibaba n’arrive pas à mettre en place une plateforme B2B marketing pour les produits africains ?

Pour moi, ce n’était pas un problème d’innovation technologique, mais tout simplement de présentation : les produits que l’on avait étaient beaux et de qualité, mais n’étaient pas aux normes internationales. Il fallait donc faire tout un travail en amont pour s’assurer que les produits vendus sur la plateforme étaient prêts à l’export.

Le deuxième point, c’était qu’ il fallait pouvoir attirer de l’investissement pour mettre en place un centre de packaging et de conditionnement pour les transformateurs locaux pour s’assurer qu’ils puissent suivre les capacités de production nécessaires pour pouvoir atteindre le marché international. C’est du travail qui a dû être fait en scale-out plutôt qu’en scale-up. Il fallait d’abord mettre en place l’infrastructure nécessaire, la chaîne de valeurs, l’écosystème avant de se dire que l’on avait un modèle d’affaires pour aller de l’avant.
Maintenant, pour être dans une position de croissance exponentielle, on doit faire le même travail qu’au Sénégal dans d’autres pays africains.

APP - Vous avez donc pris un certain risque. N’est-ce pas ce qui caractérise les entrepreneurs qui réussissent ?

Birame SOCK – C’est parfaitement exact. J’avais une petite peur de ce retour car, aux États-Unis, où je connaissais parfaitement mon environnement, ma vie était assez confortable. J’avais mon réseau et comprenais parfaitement le marché alors qu’à Dakar – bien qu’étant Sénégalaise – c’était pour moi comme un territoire étranger. J’avais en effet quitté le Sénégal à l’âge de 2 ans et n’y étais revenue que pour achever mon cycle scolaire : la première et la terminale.
À mon retour en 2019, certains signes m’ont cependant prouvé qu’il y avait des choses à faire au pays. Il y avait la DER (Délégation à l’Entrepreneuriat Rapide) pour les femmes et les jeunes et des incubateurs et cela m’a donné le courage de tenter ma chance.

APP - Quelles sont les principales différences avec les États-Unis ?

Birame SOCK – La première c’est qu’aux États-Unis quand on crée une startup on peut profiter d’autres services et infrastructures déjà mis en place alors qu’en Afrique, surtout dans le digital, il y a tout un écosystème à construire, avec des problèmes logistiques par exemple à régler en amont.

La deuxième est liée à l’innovation car, en Afrique, quand on innove on voit rapidement l’impact que cela peut avoir sur la vie directe des gens. Ce qui oblige à mettre en place dès le début un business modèle qui nous permet de survivre et de prendre en amont un certain nombre de décisions. Pour Kwely, mon entreprise a commencé avec l’idée d’être une marketlist digitale, mais on a fini par créer un incubateur de marque pour nous assurer que les produits étaient prêts à l’exportation.

EN SAVOIR PLUS :
http://kwely.com

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DE NOTRE CMAAP 6 du 9 novembre 2022

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Une vue de la salle pendant la conférence. © Frederic Reglain

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